Vos lieux de culte

"Le décès de Pascal et Mireille Besson a ébranlé plus d’un Pulliéran, et bien au-delà des frontières de notre paroisse. L’oeuvre du peintre Besson laissera une trace dont nous serons nombreux à nous souvenir. Les paroissiens ne l’oublieront pas lorsqu’ils contempleront les vitraux de l’église de Chamblandes, et ils ont pu bénéficier à deux reprises d’une reproduction d’un de ses tableaux à l’occasion de l’appel de fonds de Noël ces dernières années. En guise d'hommage, retrouvez ci-dessous le texte de la prédication prononcée au cours du culte d'adieu par le pasteur David Freymond."

Service funèbre de M. et Mme Pascal et Mireille Besson

Le Prieuré de Pully, le jeudi 13 octobre 2022

 

Prédication (Luc 24, 13-35 – Les pèlerins d’Emmaüs)

Dans le livre de vie de Mireille et de Pascal, il y a tant et tant de pages que nous pourrions évoquer ensemble : de très belles, de plus tristes, des histoires de vie, de rencontre, de repas, d’amitié, des histoires de verres de blanc qui s’entrechoquent, de voyages, de tableaux, d’expositions, tellement d’événements et d’anecdotes que cette seule cérémonie ne suffirait bien sûr pas à raconter. Le but aujourd’hui n’est pas d’être exhaustif, mais plutôt de livrer un portrait croisé avec la page d’Évangile que nous venons d’entendre, en ayant toujours la voix de Mireille et de Pascal dans les oreilles, eux qui répétaient inlassablement : « Nous avons eu une belle vie, nous sommes reconnaissants ».

Mireille et Pascal se sont donnés pour la première fois la main il y a presque 80 ans alors qu’ils étaient ensemble à l’école ; ils se sont mariés ici même le 19 novembre 1955 et ils ne se sont plus jamais lâché la main jusque sur leur lit de mort où ils sont partis ensemble. Pulliérans tous les deux, ils étaient profondément attachés à leurs racines. Mireille a grandi aux côtés de ses deux sœurs Musi et Jacqueline, et de leurs parents Georges et France ; Pascal avec son frère et ses parents, Charles, notaire, syndic, éminent notable pendant de longues années, et Zozine ; cette dernière a d’ailleurs pris le rôle d’une mère pour Mireille alors qu’elle perdait la sienne à l’âge de 18 ans.

Le temps d’effectuer une formation à l’école ménagère, Mireille s’est tout entière incarnée dans ce rôle qu’elle n’a plus quitté tout au long de sa vie : ce que j’appellerais avec affection et un brin de malice le rôle de « gardienne du temple Pascal Besson ». Elle a été son soutien le plus indéfectible, dès ses débuts avec une solide formation à l’École des Beaux-Arts de Lausanne et à la Grande Chaumière de Paris. Par la suite aussi, lorsque Pascal a travaillé comme graphiste pour diverses entreprises, entre autres les CFF, et a pu ouvrir un bureau indépendant, obtenant de prestigieux mandats, en particulier du CIO, tout en étant, en parallèle, chargé de cours à l’École d’arts appliqués de Vevey pendant 30 ans.

Dès lors, on ne compte plus ses réalisations : des décors de théâtres, des costumes – comme ceux de la fête des Vignerons en 99 – des vitraux – comme ceux de l’église de Chamblandes ou de l’EMS Pré-de-la-Tour – l’horloge de la place de la Palud, inaugurée à l’occasion de l’expo en 64, des étiquettes de bouteilles de vin, des reliefs muraux à Pully et ailleurs, des tapisseries murales, comme celle du foyer de la Maison puillérane… Pascal a aussi eu l’occasion de donner des nouvelles couleurs au blason du Rotary Club de Pully, dont il a été un des membres fondateurs et le président en 1984.

Peignant quasi quotidiennement, Pascal a commencé à exposer collectivement en 1962 et a réalisé sa première exposition personnelle en 1977 à la galerie du château d’Avenches. Depuis, les expositions se sont succédé en Suisse romande et en Suisse alémanique : à Lausanne, au musée de Pully dont il a été dès les débuts une cheville ouvrière, en Valais, à Bâle, Zurich, Lucerne, et aussi à l’étranger, notamment Paris, Bruxelles, Londres et Amsterdam. Les tableaux de Pascal Besson sont présents dans de nombreuses collections privées et publiques : Nestlé, l’UBS, la BCV, le Musée olympique, et même le MoMA de New York ! En 2015, le magazine Market consacrait Pascal Besson parmi les 15 acteurs d’influence de la vie culturelle, aux côtés, entre autres, d’Igor Ustinov et Pierre Amoyal.

Pascal Besson peignait en solitaire, et de manière très besogneuse. Ses toiles, comme il le disait lui-même, étaient d’une « fausse simplicité ». Sans cesse il revenait sur chaque élément, superposant ces fameuses bandes fines et effilées, et reprenant un ciel, ou un lac, jusqu’à 4 ou 5 fois pour obtenir enfin le résultat qu’il souhaitait, et donnant à la toile peinte non pas une image plate, mais un rendu vibrant et vivant. Pascal Besson enseignait la composition, et devant son chevalet il était compositeur, s’inspirant de ce qu’il voyait sans y rester fidèle, percevant l’ensemble de son œil vif, ôtant ce qui lui paraissait superflu et rétablissant les équilibres, cherchant toujours à gagner ce qu’il appelait volontiers des « petits moments d’éternité ».

Lorsqu’il peignait, il n’aimait pas particulièrement qu’on guigne derrière son épaule pour l’observer en train d’étaler la peinture acrylique à l’aide de ses couteaux. Mireille ne se gênait pourtant pas de le faire parfois, n’hésitant pas à faire des remarques et trouver tel ou tel motif peu à son goût !

L’élan artistique de Pascal Besson le conduisait à choisir des teintes plutôt froides, lui qui craignait les bleus trop vifs ou, pire, les verts criards que la nature offre parfois. Ces teintes associées à l’armature plutôt rigide de ses compositions pourraient conduire à laisser froid celui qui admire ses tableaux. C’est pourtant tout le contraire qui s’est passé : dès ses premiers accrochages, Pascal Besson a eu du succès, tant son œuvre ne laisse personne insensible. Un de ses anciens élèves de Vevey, Davide Oppizzi, résume très bien le travail de l’artiste lorsqu’il dit que : « Pascal Besson maîtrisait l’espace et le calme comme personne ». Ainsi, face à l’immensité et au sentiment de paix, c’est l’émotion qui gagne l’admirateur. Émotion devant la chute parfois vertigineuse des vignes du Lavaux dans le Léman. Émotion devant l’infini des eaux de Bretagne avec ses caps, ses phares et ses bateaux souvent à cale sèche, et cette lumière si particulière de Penhors et des environs qui a été comme un déclic qui a poussé Pascal au chevalet. Émotion devant les rues en enfilade des villages toscans, du côté de Colle di Val d’Elsa, face à cette terre ocre de la patrie des Médicis, où surgissent les cyprès et les courbes des collines, seuls arrondis que Pascal Besson s’est autorisé à coucher sur la toile.

La peinture de Pascal est, comme le dit si bien son grand ami Frank Bridel, « une peinture-trinité : la terre, l’eau, le ciel. Les éléments essentiels, somme toute, selon une science qui voit notre origine dans la mer, une chair plaquée au sol, une foi qui place Dieu et l’au-delà dans l’azur ».

L’automne venu, laissant derrière eux les terres bretonnes et toscanes qu’ils avaient arpentées pendant la première partie de l’année, on trouvait Mireille et Pascal dans leurs vignes, sur la terre de Villette, le sécateur à la main et le regard fuyant vers l’immensité du Léman qui s’étalait à leurs pieds.

Avec ses bleus si particuliers, Pascal Besson a cherché à coucher sur la toile la vision si personnelle de son lac, permettant à son style de devenir inimitable et immédiatement identifiable. Mais si Besson aime les bleus, il a une tendresse presque caressante pour les blancs : ceux de la neige qui recouvre les coteaux du Lavaux, et aussi celle qui transforme en hiver la terre immense du Jorat, quadrillée de sapins noirs qui serpentent sur un blanc immaculé mais jamais uniforme.

Incarnant avec tant de naturel et d’amour toutes les caractéristiques d’un couple fusionnel, Mireille et Pascal ont emprunté un chemin où ils ne se sont jamais écartés l’un de l’autre, malgré les inévitables coups de gueule dont nous avons été les témoins, autant chez l’un que chez l’autre. Mireille n’aura ainsi été infidèle qu’avec un seul autre homme : Roger Federer ! Il arrivait à Pascal de devoir renoncer un repas avec des amis, simplement parce que Roger jouait… Ou il disait au téléphone : « Je ne peux pas te la passer, parce qu’elle est avec l’autre ! »

Au quotidien et pendant toute leur longue histoire d’amour, Mireille s’accomplissait dans ce rôle de l’ombre, assurant avec brio que toute la logistique soit au point, tant à la maison que dans les galeries où elle veillait scrupuleusement à ce que l’accrochage soit fait selon ses directives, c’est-à-dire dans les règles de l’art ! Ce petit bout de femme dont de nombreux Pulliérans se souviendront, presque engloutie derrière un des douze bergers allemands qui se sont succédé dans la maison du couple, toujours habillée de noir avec ses inévitables grandes boucles d’oreilles rondes.

On pourrait dire tant de choses encore, de leurs rituels hebdomadaires avec Nicole, leur filleule, des apéritifs à l’atelier, de leur fidélité au Club Méd, des hivers passés au chaud, sur une île lointaine, des virées à Saint-Trop ou à Verbier, de la carrière de Pascal à l’armée et de son investissement dans la Patrouille des Glaciers, tant de souvenirs qui déroulent les pages d’un grand livre où l’amitié a toujours eu la première place, et l’humour aussi, ces rires qui ont toujours été présents.

Je ne résiste d’ailleurs pas à vous raconter cette petite anecdote : une heure avant de mourir, alors que Mireille dormait doucement, cherchant à offrir un maximum de confort à Pascal, je lui ai demandé s’il ne souhaitait pas quelque chose, par exemple un thé. Il me répond : « Ah non, pas un thé, parce qu’alors ce serait un Te Deum ! »

Le chemin de vie du couple Besson, je le vois volontiers aujourd’hui comme celui qu’ont emprunté les disciples d’Emmaüs, ce récit très connu que vous avez réentendu tout à l’heure. A sa relecture, il y a une phrase qui m’a particulièrement sauté aux yeux et que j’ai envie de retenir aujourd’hui : « Ils s’approchent du village où ils se rendaient, et Jésus fait semblant d’aller plus loin ». Clairement, il est indiqué que Jésus fait semblant. L’évangéliste Luc est à deux doigts d’affirmer que Jésus est hypocrite. Mais je crois plutôt que ce qui est souligné ici, c’est l’extraordinaire discrétion du Ressuscité.

Une discrétion qui n’est pas celle d’une personnalité qui serait effacée, mais une discrétion qui témoigne au contraire d’une attitude qui respecte profondément le mystère de l’autre, une attitude qui mobilise la foi, une attitude qui met en mouvement et qui creuse le désir. Cette attitude de Jésus, discrète parce que profondément respectueuse, est la manifestation d’une présence avec un grand P, présence qui ouvre une route commune, une route où les disciples cheminent aux côtés de Jésus, même sans le savoir, ou en le sachant inconsciemment. Une route où nous sommes appelés nous aussi à cheminer à ses côtés.

Les disciples sont sur le chemin, en train d’essayer de comprendre tout ce qui s’est passé à Jérusalem. Ils sont dans le désarroi, ils sont tristes, la crucifixion de leur maître a cassé tous leurs idéaux. Et voilà que le Ressuscité est juste à côté d’eux, mais tellement discret que leurs yeux ne peuvent pas le reconnaître.

Jésus est discret parce qu’il est respectueux avec eux, parce qu’il l’est aussi avec nous, encore aujourd’hui. Il est respectueux de notre lenteur, il prend le temps comme il le prend avec ces deux disciples avec qui il parle, longuement. Mais il ne fait pas que parler, il questionne aussi, il interpelle : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire… » Et du coup, les disciples, de la sidération dans laquelle ils étaient figés, peuvent petit à petit émerger à autre chose, à une autre forme de relation.

« Jésus fait semblant d’aller plus loin ». C’est là peut-être que se situe le nœud de notre histoire. Plutôt que de s’imposer à nous et de nous forcer à le reconnaître, Jésus veut nous laisser l’initiative de le retenir. « Reste avec nous », lui disent les disciples. Et c’est alors qu’ils peuvent partager le repas, ce geste symbolique du pain rompu et partagé qui parle de lui-même. Ce geste où se dit le sommet de l’amour de Jésus pour l’humanité.

C’est alors que nous pouvons réaliser qu’il ne sert à rien de vouloir retenir pour soi le Vivant, ce Jésus qui peut alors disparaître, mais qui ouvre en même temps à une nouvelle forme de relation, puisque cela nous pousse à aller communiquer avec d’autres autour de nous cette bonne nouvelle de ce Christ qui n’a jamais cessé de cheminer à nos côtés.

Il ne sert à rien de retenir pour soi le Vivant. Il ne faut pas voir Dieu comme un Dieu tout-puissant, écrasant, dominateur, mais plutôt à l’image de ce Jésus qui chemine, qui parle, qui rentre en relation avec chacun de nous : discret, mais intensément présent, jusque dans la mort, à tel point qu’il devient possible d’accepter que tout ce qui est créé doit finir par mourir.

Le Dieu discret qui se révèle sur le chemin d’Emmaüs, c’est un Dieu qui marche avec moi, au lieu d’exiger que je me prosterne devant lui. Un Dieu qui parle avec moi, au lieu de m’écraser de paroles ou de chercher à m’envoûter. Un Dieu qui me remet en question, au lieu d’approuver tout ce que je fais. Un Dieu qui permet à mes yeux de s’ouvrir, au lieu de les aveugler par son éclat. Enfin, un Dieu qui me sépare de lui pour mieux me permettre de m’ouvrir à autrui. Un Dieu qui me rend à la vie.

Amen !

David Freymond, pasteur à Pully, octobre 2022

Pensée du jour

Résilience (Genèse 35,16-21 et 27-29)

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