Les ministres de la paroisse partagent leur prédication

Les ministres déposent régulièrement leurs prédications sur le site de la paroisse afin de permettre aux personnes qui le désirent de retrouver l’essentiel de la prédication du dimanche.

La prédication depuis le lutrin ou la chaire ne se réduit pas à la lecture d’un texte. En effet, le prédicateur prend toujours des libertés face à son texte écrit, parce qu’il a devant lui une assemblée avec laquelle il entre en interaction au fur et à mesure que se vit la prédication.

Nous vous souhaitons une agréable lecture et n'hésitez pas à prendre contact avec la prédicatrice ou le prédicateur du jour.

 

Lectures : Actes des Apôtres 16,22-34

C’est un rempart que notre Dieu
Une invincible armure.
Un défenseur victorieux,
Une aide prompte et sûre.

L’ennemi contre nous,
Redouble de courroux : 
Vaine colère ! Que pourrait l’adversaire ?
L’Eternel détourne ses coups.

(Cantique traditionnel de la Réforme)

Le chant

L’acoustique est belle dans la prison de Philippe.

Il fait sombre, humide, les rats se faufilent le long des murs de pierres. Les prisonniers sont enchaînés.

Tout d’un coup, ils entendent chanter ! Ils ont de la peine à y croire, c’est comme si le ciel descendait sur la terre. Comme si le soleil venait éclairer leur cellule, comme s’ils étaient libérés de leur chaînes.

L’apôtre Paul et son ami Silas, bien qu’ils soient en prison, enchaînés, chantent ! Ils chantent la louange de Dieu. Le chant, c’est prier deux fois, disait Martin Luther, le réformateur. Paul et Silas chantent, c’est incroyable.

Et vous, chers amis, vous les enfants, les jeunes ? Dans la même situation, vous faites quoi ?

Vous essayez de vous libérer de vos chaînes ? Vous préparez votre défense devant les juges ? Vous pleurez sur votre sort ? Vous bougez le moins possible pour ne pas raviver vos blessures, …

Paul et Silas, eux, chantent les louanges de Dieu ! Bien qu’en prison et enchaînés, Paul et Silas sont libres. Le chant est une belle manière de proclamer la liberté, la confiance, la joie, l’espérance. Pensez au Negro spirituel des esclaves dans les champs de coton.

Combien d’entre vous font partie ou ont fait partie d’un chœur durant leur vie. Et vous les enfants, à l’école, vous chantez aussi ! C’est des chouettes moments. Quand il y a une fête, un anniversaire, un repas, on chante. Le chant transforme une situation, nous fait vibrer, on n’est plus les mêmes. Le chant réconforte dans l’épreuve, donne de la force. C’est aussi pour ça qu’on chante pendant le culte.

Même la Terre est touchée par le chant de Paul et Silas. Elle aussi vibre et tremble d’émotion. Les chaînes tombent, les prisonniers sont libérés. Un miracle ! Le chant libère. Avec ce tremblement de Terre, on se dirait presque dans un film de Marvel ! (éclater le 3e ballon)

La joie

Mais ça ne semble pas être la joie pour tout le monde. Le gardien de prison a peur. Si les prisonniers ne sont plus là demain, il sera torturé, mis à mort. Il décide alors d’en finir tout de suite. Dans cette prison, tout est inversé : (lentement) Celui qui est enchaîné n’est pas celui qu’on croit. Mais Paul crie au gardien : Ne te fais pas de mal ! On est tous là.

Alors le gardien demande de la lumière, dit la Bible. Oui, le gardien a besoin de lumière, qui éclaire aussi son cœur. Paul et Silas lui parlent de Jésus, à lui et à toute sa famille. Ils reçoivent le baptême. Le gardien et toute sa famille sont remplis de joie !

La parole de Jésus, le baptême et la joie vont ensemble. Ça nous fait sortir de prison, on respire, on accueille la lumière.

Vous les enfants qui allez participer à l’éveil à la foi et aux rencontres enfances, et vous les jeunes avec les activités de KT, les camps, vous n’êtes pas des gardiens de prisons. Par contre, comme ce geôlier, vous allez vivre des choses surprenantes dans vos rencontres. Vous allez entendre des jeunes à peine plus âgés que vous, vous témoigner de leur foi. Certains vous raconteront leur baptême, et tous vous diront la joie qu’ils ont de se retrouver régulièrement, et de vivre des camps, des activités avec l’Eglise. Vous serez touchés profondément, votre terre tremblera et fera tomber des chaînes, c'est-à-dire des trucs qui vous empêchent de croire.

Nous vous souhaitons tout le bonheur du monde !

Le Repas

Et que fait le gardien de prison une fois qu’il a reçu le baptême ? Mmh ? (attendre)

Il offre un repas à Paul et à Silas. Le « repas », comme le « chant », s’invite aux fêtes, aux événements aux anniversaires. Quand on est invités ou qu’on reçoit du monde à la maison, on se retrouve toujours autours de la table. On rigole, on raconte, on écoute, on est heureux !

Aujourd’hui aussi, dans cette grande salle, on chante et on se retrouve autour d’un repas. C’est la fête !

La Bible est truffée de ces fêtes où les gens se rassemblent autour d’un repas. La nourriture symbolise les dons et la générosité du ciel. Dans un repas, les produits viennent de Dieu et son apprêtés par nous, enfants, jeunes, hommes, femmes.

Quand Dieu parle de la Terre promise, il dit : une terre où coulent le lait et le miel. Le lait et le miel, c’est plus que de l’eau et du pain, c’est goûteux. Le miel, à l’époque, remplaçait le sucre d’aujourd’hui. Dieu aime ce qui bon, ce qui est savoureux. D’ailleurs, au repas tout à l’heure, vous savourerez une sauce au miel !

Si « chanter », c’est prier deux fois, « cuisiner » c’est aussi prier. Une prière pour dire merci. Aujourd’hui, plusieurs maraîchers, vignerons, arboriculteurs nous offrent leurs produits. Vous trouverez leur production au stand fruits et légumes. C’est la fête des récoltes, on fête toutes ces bonnes choses que la nature fait pousser et nous offre. Nous pouvons les savourer sur place ou les cuisiner, les apprêter. La nature nous donne le meilleur. Merci Seigneur !

Cette année, nos jardins ont été généreux et la vendange s’annonce belle. Emerveillons-nous, soyons reconnais-sant et prenons soin de cette Création qui chante, nous nourrit et nous aide à respirer mieux, c’est un précieux cadeau de Dieu.

Amen

Y a d'la joie
Bonjour, bonjour les hirondelles
Y a d'la joie
Dans le ciel par-dessus le toit
Y a d'la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y a d'la joie,
partout y a d'la joie

(Charles Trenet, Y a d'la joie)

 

 

Lectures : Job 42,1-6; Matthieu 6,7-13

Corinne Méan

Il y a, à peu près, 20 mentions de Jésus en train de prier dans les évangiles, sans compter ses enseignements sur la prière. 

Cela nous donne une idée de la place de la prière dans sa vie.

« Sais-tu comment faire boire un âne qui n’a pas soif ? En buvant à côté de lui. »

L’évangile de Luc nous raconte que c’est parce que les disciples voient Jésus en train de prier qu’ils lui demandent :

« Maître, enseigne-nous à prier, comme Jean l’a enseigné à ses disciples. » (Luc 11,1) Jésus leur apprend la prière du Notre Père.

J’aime me rappeler que chaque fois que je prie Notre Père, je ne suis jamais seule. D’abord bien sûr parce qu’avec d’autres, je me relie à la présence de Dieu et du Christ. Mais aussi parce que cette prière est tellement répandue, que chaque fois que je reprends ses mots, je peux être certaine qu’une autre personne est en train de la dire en même temps que moi, que nous, quelque part sur la planète.

Le Notre Père a donc ce pouvoir de nous relier dans l’invisible entre sœurs et frères par l’Esprit. Il nous rappelle notre enracinement dans le Vivant, dans le Christ. C’est pourquoi je vais non seulement parler au sujet du Notre Père mais je vais partager des prières que ces intentions m’ont inspirées aujourd’hui.

Ca m’a fait réfléchir d’apprendre que Simone Weil priait le Notre Père avec beaucoup d’attention du début à la fin. Quand elle sentait son attention faiblir, elle recommençait au début. Ca la remettait dans son axe. Dans une attention plus pertinente à Dieu, aux autres et à elle-même.

Notre Père

Notre Père : je suis introduite dans la familiarité de Dieu.

Je suis reliée à Celui qui est, qui était et qui vient. 

Le « je » de ma prière s’inscrit dans un « nous ». 

Mon élan de vie, ce qui se passe en moi, ou mon cri, le tout s’inscrit dans quelque chose de plus vaste, dans une perspective de communion, de collaboration. Nos volontés respectives peuvent être réorientées. 

Ce que je vis, ce que nous vivons maintenant est placé dans la Lumière, dans la tendresse de Celui qui est.

Plongés dans cette intimité, la Source de vie opère une rénovation intérieure. 

Qui es aux cieux.

Les cieux ne sont pas un endroit. Les cieux, c’est ce qui nous dépasse, ce que je ne peux pas saisir. 
Une manière d’évoquer le sens profond des choses, ce que nous percevons et qui pourtant nous échappe. 

Les cieux, c’est la face cachée de la vie, c’est le mystère des êtres, le secret des origines et des fins. 
Ma prière :

Notre Père qui es aux cieux, tu es dans le silence de la rencontre, dans le mystère du face à face avec moi-même, avec l’autre. 

Tu es avec moi dans cet espace où se forge mon être, où se déplie ce qui a peur d’être, où fond mon mal être.

Me voilà, nous voilà face à face, ni confondus, ni séparés. 

Tu es comme un père bienveillant, comme une mère pleine de tendresse avec son enfant, ses enfants.

Que ton Nom soit sanctifié, reconnu.

Comment sanctifier un nom imprononçable, intraduisible ?

On ne parle jamais de Dieu chez nos frères et soeurs juifs. On parle du saint Nom : El, Elohim, Yahvhé, Shabaot, Adonaï, Celui qui est. C’est dans les traductions grecques et latines qu’on trouvera par la suite le mot Dieu. 

Dans le mot Dieu, en latin - dies -  il y a le jour, la lumière.

Cela fait monter en moi ces mots :

Toi, le Vivant, j’ai tendance à faire de toi un fournisseur de mes désirs, un engrangeur de mes insatisfactions.
Comme d’autres, j’ai des tas de demandes à te faire. Et avant, je me demande : qu’est-ce que je dis quand je prononce ton nom ?

Notre Père qui es aux cieux.

Jésus m’invite à faire de la place en moi pour que ton Nom ait de la place, pour que ton Nom rayonne. Tu es Celui qui me fait être, qui habite qui je suis, qui je deviens.

Je me sens encouragée, je nous sens encouragés à chercher des chemins pour qu’ensemble, nous puissions vivre en frères et sœurs. 

« Voyez comme ils s’aiment », c’est ce qu’on dit des croyants dans les Actes des apôtres. Est-ce que ça a contribué à ce que d’autres sanctifient, à leur tour, ton Nom ?

Que ton règne vienne.

Albert Camus disait : « Je ne croirai jamais en un Dieu qui laisse mourir les enfants. » Jésus non plus. Moi non plus ! 

Nous faisons tous ce constat : le monde comme il est, porte notre signature, la signature des humains. Ca me donne envie de prier : 

Ton règne est justice et nous sommes écartelés entre générosité et égoïsme.

Ton règne est pardon et nous sommes gouvernés par la peur, par notre ego blessé ou assoiffé.

Ton règne est paix et nous sommes tumultes, angoisses, inquiets.

Que ton règne vienne, que ce qui vient de toi, Père, prenne place en moi, en nous.

En lien avec toi, avec Jésus le Christ, ce règne est déjà proche : risquer un geste neuf inspiré de ta vie peut transformer mon geste, ma parole, ma présence en touche d’espérance. 

Père, continue de venir parmi nous, de venir à travers les autres, à travers ceux et celles qui vibrent à ta voix. Je tiens à ce que tu ne t’éteignes pas en moi, en nous.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Jean-Yves Leloup, prêtre orthodoxe, raconte que quand il était petit, ses parents avaient dû le reprendre plusieurs fois parce que quand il arrivait à cette intention de prière, il baillait. 

C’est plus tard qu’il a interprété ce baillement - pour lui -comme un lâcher-prise, une détente. Il s’abandonnait entre les bras du Père pour placer sa propre volonté dans une volonté plus grande. 

Quand la souffrance ou la mort sont là, je peux les confier à plus large que moi. 

Oui, quand l’incompréhension est là devant les violences qui engendrent tant de souffrance, je peux les traverser avec Celui qui m’habite. 

Oui, quand les réalités me labourent, je peux les aborder avec Lui. 

Tant que je résiste, je bloque, j’empêche ta vie de passer.

Le Christ, avant de mourir a prié : « éloigne de moi cette coupe de douleur, non pas ma volonté mais la tienne. » En lui se sont s’affrontées deux volontés. Elles ne sont pas devenues résignation.

A quoi reconnaître ta volonté, Père ?

Est-ce aux gestes, aux regards, aux paroles qui entre nous font surgir la vie ? Même si nous ne les discernons pas toujours sur le moment ?

Que ta volonté soit faite : que je puisse aborder ce qui m’arrive en le plaçant dans ta vie qui se creuse une place là où je ne peux pas imaginer qu’elle puisse se frayer un chemin.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour :

Nous avons toujours faim. 

Faim de pain, faim d’affection, de reconnaissance, de connaissance, d’amitié, de vérité, de justice…Et si ces faims apaisées dégageaient des saveurs spirituelles ? Je vous partage ma prière :

Père, nous te demandons la nourriture qui périt et celle qui demeure.

Nous te prions pour ce qui nourrit notre corps et pour ce qui nourrit notre être, notre âme. 

Nous te prions pour ce qui peut nourrir les relations humaines, et notre manière d’être au monde.

C’est évident, même si nous prenons soin de notre vie, nous n’en sommes pas la source. Et nous ne pouvons pas vivre que pour nous-mêmes.

Père donne au pain le goût du pain reçu sous chacune des formes, et quand nous sommes nourris d’une manière ou d’une autre, apprends-nous à savourer chacune de ces miettes d’éternité, à les partager.

Pardonne-nous.

La plus longue des 6 demandes. 

Exemple de Jean-Yves Leloup, alors jeune prêtre orthodoxe :  Une femme atteinte de sclérose en plaque vient le rencontrer en chaise roulante. Elle se confie : « Ma maman m’a privée de tout, elle m’a volé ma jeunesse, elle me voulait à son service : pas de sorties, pas de mariage, pas de vie sociale ». Le prêtre lui dit : « il faut lui pardonner ». La femme se fige, se ferme : je ne peux pas, elle m’a empoisonné la vie, elle m’a coupé les ailes, elle m’a rendue malade.

Le jeune prêtre remarque qu’il n’aurait jamais dû dire ça.

Après un silence, il lui dit : « pouvez-vous imaginer que le Christ s’en occupe ? Qu’il pardonne à votre maman » ?

Et là, la femme fond en larmes, puis après un moment commence à bouger comme si la vie pouvait recirculer….

Ca me fait prier avec ces mots :

Père tu me fais, tu nous fais découvrir qu’un non pardon bloque la vie entre deux personnes, en moi-même.

Mon existence pourrait se résumer à la somme des blessures subies ? Non, nous n’avons pas été créés pour vivre dans la souffrance et dans la solitude. Nous avons été créés pour vivre dans l’amour et en connexion les uns avec les autres. Quand ce lien devient mortifère, ou qu’il est rompu brusquement, est-ce possible de trouver un moyen de le réparer ?  Ou - dans le dialogue - de choisir de ne pas le poursuivre ?

Pardonner, ce n’est pas excuser une faute.

Pardonner, c’est refuser.

Refuser de croire que les gestes blessants, les signes de rivalités, la confiance trompée, les piteuses lâchetés qui tissent le quotidien expriment toute la réalité profonde de l’autre, la mienne.

Pardonner, est-ce éviter d’attiser les braises de la colère et prendre soin de ce qui est blessé ?
Est-ce que c’est apprendre de ton regard de l’amour ?

Reconnaître que ce n’est que dans ce regard que je peux laisser place à la vérité de l’autre, à ma vérité, telles que tu les vois ? 

Pardonner ne dépend pas que de nous, que de moi. 

Et quand on y arrive, nos pardons sont signes d’un amour qui ne vient pas de nous. Il vient d’au-delà de nous.

Et ne nous laisse pas entrer en tentation

Là, j’ai envie de prier :

Père, ne permets pas que je m’identifie à ce qui se passe de pénible pour moi, à mes « je n’en peux plus », à mes  « c’est trop ». Ne permets pas que je m’identifie à ma maladie. Que je me réduise à mon épreuve. 

A travers cette maladie, cette épreuve, cette rupture, quelque chose peut se passer. Avec toi et avec les personnes qui me soutiennent, je vais tout faire pour prendre soin de cette maladie, pour traverser cette épreuve, pour accuser cette rupture. 

En vivant ce qui m’ébranle de cette manière, je dis oui à ce qui est. Je ne fuis pas, je cherche à composer, à construire avec. Je ne dis pas que la souffrance est bonne. Mais, il y a une façon de la prendre, de la mettre en lumière et d’en faire naître quelque chose. 

Que les épreuves ne me coupent pas de la confiance en toi, ne me propulsent pas dans l’envie de me détourner de toi. 

Parce que tu es là. Ne me permets pas d’en douter. 

Garde-moi dans ta Présence, dans ta liberté.

Mais délivre-nous du mal

Mal, mauvais, vient du latin ; Pervers - ponérou - en grec

Délivre-nous du pervers que cela concerne le monde ou nous-mêmes. Une prière monte en moi :

Père, délivre-nous, délivre-moi de ce qui pervertit le meilleur, le plus divin, le plus humain, le plus aimant. 

Délivre-nous, délivre-moi quand nous ne sommes plus là pour nous illuminer les uns les autres mais pour nous manipuler, pour nous dominer mutuellement, nous comparer, nous utiliser. Quand nous ne nous servons pas de la force affective pour prendre soin, mais pour nous posséder jalousement, nous approprier l’autre, nous traiter comme des objets.

Délivre-moi du mal. Du besoin d’accuser les autres, de les charger de ce que je ne peux pas assumer.., délivre-moi des « ce n’est pas moi », « c’est l’autre…»

Délivre-moi aussi du réflexe que j’ai de m’accuser moi-même, de prendre tout sur moi.

Quel allégement.

Prier Notre Père, c’est laisser vivre le Christ en nous.

Nous sommes nés pour être, pour naître, pour être conscients d’être, pour respirer de son Souffle, pour accrocher notre nom au Nom.

Pour discerner sa volonté nous nous abandonnons en Lui. 

Par ailleurs, nous apprenons à être accueillants pour les nourritures qui nous rendent capables de pardon, de patience, de justice.

Nous apprenons à Lui faire plus de place en nous pour devenir plus doux, éviter de devenir durs ou mous.

Nous nous relions au Père, au Christ pour tenir ensemble dans la rigueur et la tendresse, la justice et la bienveillance. Quelle école !

Finalement, prendre soin de notre humanité, de notre « je suis ». C’est prendre soin de Dieu.

Etty Hillésum le disait : « Il faut prendre soin de Dieu. Cette part silencieuse en nous-mêmes. » 

C’est encore une manière de ne pas nous identifier à nos épreuves. 

Etty Hillésum fait partie de ces personnes confrontées à de grandes souffrances, à des horreurs. Ces personnes reliées à l’Au-delà de tout, témoignent au cœur de leurs réalités éprouvantes et arrivent à rayonner de la liberté, de cette patience, d’une sérénité que le Père, le Christ donnent.

D’où ça vient ? Comment est-ce possible ? 

Est-ce que ces pesonnes ont pris soin du berceau divin déposé au fond d’elles-mêmes ?

Est-ce qu’elles ont laissé ouverte la porte sacrée ? Ou veillé sur cette étincelle de divinité, sur cette lumière qu’aucune ténèbre ne peut éteindre ?

Oui : Ce n’est ni à nos crispations, ni à nos intolérances, ni à notre fascination du succès ou du pouvoir qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire mais à Toi qui es Vie, à Toi qui es Amour, à toi puissance de Résurrection.   
 

Amen, j’y crois vraiment.

Lectures : Jérémie 38,4-13 ; Luc 12,49-53 ; 1 Pierre 4,12-16

Introduction

Ils sont rudes les textes de ce matin ! En en prenant connaissance avec Adjovi cette semaine, on s’est dit que pour la reprise, l’Eglise aurait pu faire un effort et nous proposer des textes plus gais. 

Le prophète Jérémie est jeté dans une citerne pour avoir transmis la parole de Dieu, Jésus nous prédit des gros clashs familiaux en son nom, l’apôtre Pierre nous prévient qu’on sera insultés à cause du Christ.

Avec des textes comme ça, c’est beau que des femmes et des hommes se lèvent encore pour devenir diacres, pasteurs, animatrices d’Eglises, ou s’engagent dans les paroisses : au Conseil, pour les jeunes, pour les plus démunis, fassent des visites, viennent aux cultes. 

Pourtant, cette semaine, avec Véronique, mon épouse, dans le cadre de nos lectures quotidiennes, on découvrait l’apôtre Paul qui se faisait tout à tous : Juifs avec les Juifs, respectant la circoncision, les vœux ; et il se faisait Grecs avec les Grecs dans une pleine liberté en Christ.

Ce matin, au contraire, on a l’impression que les textes sont soit noirs, soit blancs. Ils divisent, il n’y a pas de nuances. Dans notre monde déjà tellement polarisé, on n’a pas besoin de ça. Prenons le temps d’entrer dans ces récits calmement.

Fidélité de Dieu

J’ai redécouvert cette histoire de Jérémie. Je l’avais oubliée. Les babyloniens sont aux portes de Jérusalem. Jérémie - porte-parole de Dieu - exhorte le roi à se rendre, pour que la famille royale et la population ait la vie sauve, sinon la ville sera détruite dans un bain de sang. Accusé d’être collabo par des militaires, Jérémie est jeté dans une citerne jusqu’à ce que mort s’en suive. Dangereux de tenir un discours qui n’est pas politiquement correct ! L’histoire pourrait s’arrêter là.

Mais non. Un esclave éthiopien de haut rang demande au roi la libération de Jérémie. Cet esclave sort de nulle part, et le roi l’écoute, comme il a écouté les militaires quelques heures avant. Bizarre. Qui que nous soyons, « puissants ou misérables », nous avons une parole  à faire entendre. Utilisons-la pour libérez, pour permettre la vie.

On ressort Jérémie de la citerne, avec soin. On lui donne des tissus à mettre sous ses aisselles, avant d’y faire passer la corde, et être tiré délicatement hors de la citerne. Quand on est au fond du trou, Dieu prend soin de nous aussi. Il passe délicatement ses mains sous nos aisselles pour nous retirer hors du gouffre et nous remettre debout.

Pas facile d’être témoin de Dieu. On prend des risques. Mais Dieu est fidèle. Grâce à Ebed-Melek, cet esclave de haut rang, Jérémie est libéré. Nous aussi, parfois, nous sommes surpris que le soutien, l’ouverture d’une situation jugée sans issue, nous vienne de là ou on ne l’attend pas. Est-ce que Ebed-Melek connaissait Jérémie ? est-ce que Dieu lui a parlé ? Est-ce que Ebed-Melek voulait remercier Jérémie pour son aide dans l’affaire des esclaves affranchis. Rien n’est dit. Ebed-Melek est étranger, il est esclave, et il présente une requête au roi. Quel courage ! Contre toute attente, le roi l’écoute et accepte sa requête. J’y vois là vraiment la fidélité et l’action de Dieu.

Cette histoire de citerne fait écho à une autre histoire de citerne, vous vous souvenez ? (demander)

Oui, Joseph, le chouchou de son père Jacob, qui se met tous ses frères à dos en racontant ses drôles de rêves. Un jour, ses frères jettent Joseph dans une citerne pour le faire mourir. Cependant, profitant du passage de marchands d’esclaves, ils vendent leur frère à cette caravane. Joseph deviendra gouverneur en Egypte, la grande puissance de l’époque. La fidélité et l’action de Dieu traversent toute la Bible : Joseph, Jérémie. Et elle se répète, aujourd’hui encore ! Dieu reste le même  !

Un feu

On pourrait croire que ces difficultés, c’est de l’histoire ancienne. Qu’avec Jésus, tout s’arrange, tout devient plus facile, que notre témoignage est attendu, qu’il est reçu avec joie et reconnaissance. Ce n’est pas tout à fait ce que Jésus nous dit. Je cite : «  Je suis venu apporter un feu sur la terre, […] le père ne sera pas d’accord avec le fils, […] la fille ne sera pas d’accord avec la mère, […] la belle-mère ne sera pas d’accord avec la belle-fille ». Tout cela n’est pas très encourageant !

Je parlais de Joseph, tout à l’heure. On se rappelle les histoires de famille pas jolies, jolies, de l’Ancien Testament : meurtre, trahison, mensonge, jalousie, tromperie. Caïn tue son frère Abel, Sarah chasse son beau-fils Ismaël et sa mère de la tribu, Rébecca trompe son mari Isaac afin que Jacob ait la bénédiction, etc … L’Ancien Testament est truffé de ces situations peu glorieuses. Et pourtant, Dieu est là, il prend soin. Pardon, réconciliation, réparation jalonnent également les récits : Esaü et Jacob tombent dans les bras l’un de l’autre, Dieu répond à la prière d’Agar qui voit son enfant mourir, et le sauve. Joseph pardonne et se réconcilie avec ses frères qui l’avaient vendu comme esclave, pour son vieux père Jacob qui le croyait mort, c’est une résurrection.

Quand Jésus parle des désaccords dans les familles, il ne dit pas que c’est définitif. Mais il nous met en garde, nous prévient que tout ne sera pas facile, que notre témoignage, que notre foi ne seront pas forcément accueillis et partagés automatiquement par nos tout proches.

Je me rappelle, il y a 35 ans, je revenais d’Afrique, j’étais tout feu, tout flamme pour Dieu. Six mois auparavant, ma sœur m’avait demandé d’être parrain de son nouveau-né, mais ma passion pour Dieu à mon retour l’a refroidie. Elle m’a dit qu’elle demanderait à quelqu’un d’autre. Je vous rassure, notre relation est à nouveau très bonne entre ma sœur et moi, grâce à Dieu.

Un autre exemple. Dans notre paroisse, une grand-maman me partageait son désir de voir son petit-fils se tourner vers Dieu. Mais elle avait de la peine, les parents de l’enfant ne l’aidaient pas non plus. 

Vivre sa foi dans le couple, dans le cercle familial ne va pas toujours de soi, mais Dieu reste fidèle.

Alors que Jésus nous met en garde contre les difficultés qui nous attendent, il dit qu’il attend impatiemment de recevoir un baptême. Pourtant Jésus a déjà été baptisé dans le Jourdain, le Saint-Esprit est déjà descendu sur lui sous l’apparence d’une colombe. De quel baptême parle-t-il ? (pause) Jésus parle de la croix sur laquelle il va mourir. Cette croix offre à chacun de nous de renaître, d’être transformés. De mourir pour ressusciter à l’image du Christ, et ceci de notre vivant. Le feu que Jésus est venu apporter sur la terre, n’a rien à voir avec ces énormes feux en France, en Espagne, qui détruisent des hectares, empoisonnent et tuent. Ce feu que Jésus apporte, donne la vie, relève, console, transforme, régénère. Bien sûr, il n’est pas accepté par tous, au même moment. Cela demande parfois du temps. Mais ne nous lassons pas d’en témoigner, de prier. N’ayons pas peur de nous brûler les doigts.

Souffrir ?

Pour terminer, écoutons l’apôtre Pierre. Pierre c’est le premier disciple que Jésus a choisi. C’est sur lui que Jésus a dit qu’il construirait son Eglise ! Et bien, tout premier de classe qu’il est, la souffrance et les insultes ne lui sont pas épargnées. Mais Pierre reste confiant. Il nous appelle même à nous réjouir.

Attention, il ne s’agit pas de rechercher la souffrance, pas besoin d’avoir mal, de s’automutiler pour être fidèle à Dieu. Mais si nous souffrons à cause de notre foi, de notre témoignage, et bien réjouissons-nous malgré tout, car nous sommes unis à Christ et nous portons son nom.

Jérémie, Jésus, Pierre. Je pourrais citer des femmes aussi, Naomie, Marie, Priscille par exemple. Ces hommes et ces femmes ont chacun, chacune, traversé des moments difficiles, mais ont aussi vécu des résurrections. Ces personnes ont toutes témoigné de leur foi, elles étaient fidèles à Dieu et lui ont fait confiance.

Je vous laisse avec cette parole de l’apôtre Pierre :

Mettez tous vos soucis dans la main de Dieu, parce qu’il prend soin de vous. (I Pierre 5.7).

Lectures : Esaïe 42,16 ; Jean 9,1-12

Rabbi, à qui la faute si cet homme est né aveugle, à lui ou à ses parents ?

Nous avons là une conception juive de l’époque : La maladie est la marque d’une faute. 

Quand l’incompréhensible d’une maladie ou d’une souffrance vient soudain bouleverser l’existence, la question qui vient souvent, c’est pourquoi ?  Pourquoi faut-il que des personnes affrontent tant d’insupportable dans leur vie ?

Pourquoi le mal et le malheur s’acharnent-ils à déconstruire ce qui a souvent été construit dans la patience et l’endurance ?  Des pourquoi, nous en avons plein la tête. Nous y donnons les réponses que nous pouvons, tout comme à l’époque de Jésus, les juifs donnaient la réponse qu’ils imaginaient être la bonne. 

Lier le péché et la maladie a été une évidence pendant longtemps. 

Aujourd’hui, la maladie n’est plus la conséquence d’une faute morale, des réflexes demeurent : 

  • Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu pour que ça m’arrive ?
  • Je suis moi-même responsable de mon mal : mes comportements ou mon attitude intérieure y sont pour quelque chose.
  • A la maladie s’ajoute la culpabilité.
  • Ou alors, des malades en veulent à leurs parents, ou à leurs proches… : ce sont eux qui ont contribué à déclencher ma maladie ou qui font que je suis dans cette situation !  Ce n’est pas aidant.

Jésus coupe le lien maladie-faute, crise-erreur, même si ça prend du temps pour déraciner des réflexes humains :
Dieu se manifeste dans ce que vit ce mendiant aveugle.

L’aveugle n’a pas de passé fautif. 

Jésus invite à quitter le parce que et à le remplacer par un pour que !

Pour que soient manifestées les œuvres de Dieu en lui !

Jésus tartine de la boue sur les yeux de l’aveugle pour le guérir. Il rajoute une couche de crasse sur ce qui  l’encrasse. 

Utiliser de la boue, l’étaler sur les yeux ne peut qu’empirer les choses, obstruer encore plus le regard ! 
L’aveugle peut encore moins voir Jésus, par contre ses perceptions sont à vif. Il peut sentir :  sentir l’odeur, la texture, se sentir touché, aussi par la voix, et la bienveillance qu’il perçoit.

L’aveugle n’est pas aveugle à tout. Ses yeux sont fermés mais son cœur est ouvert. Comme quoi les apparences sont trompeuses - d’une certaine manière, l’aveugle voit déjà.

D’une crasse, Jésus fait un vrai miracle. 

De la terre pour façonner une partie inanimée de l’être, ça vous évoque quelque chose ? 

Quand Dieu créé l’humain, il lui insuffle son Souffle de vie. 
Ici, Jésus rajoute quelque chose de tout aussi personnel, de la salive.

Jésus agit comme un arrosoir de vie. Il permet une transformation du figé au révélé. Cet arrosoir de vie épouse toutes les formes possibles - la forme des yeux de l’aveugle, de son infirmité, de son regard éteint et même le regard des autres.

J’imagine notre ami avec de la boue sur les yeux : j’ai l’impression qu’il fait encore plus clochard.  Jésus l’envoie à la piscine de Siloé. Comment l’aveugle se déplace ? On ne sait pas trop comment. Toujours est-il qu’il va se plonger dans l’eau, se laver et voir. 

Siloé veut dire envoyé. 

Jésus invite l’aveugle à lui faire confiance. Il n’attend pas qu’il soit parfait, apte, présentable. L’aveugle se déplace, se met en route avant même de reconnaître Dieu dans sa vie, avant que ses yeux s’ouvrent, avant qu’il ne quitte la mendicité, avant que les autres - qui ne le voyaient plus à force de passer à côté de lui - le voient. Être envoyé est lié à se laisser travailler intérieurement, à se bouger, pour laisser Dieu œuvrer en nous et y faire venir son Royaume. C’est le travail d’une vie, du soleil levant de notre existence et tant qu’on est en vie : travailler à répandre des valeurs d’amour, des paroles guérissantes autour de nous, en complicité avec le Christ qui n’a d’yeux que pour nous. 

Jésus veut nous dire quoi en envoyant un aveugle à Siloé ? Dans envoyant, il y a voyant. C’est donc en me mettant en route vers le bassin de mes guérisons que je verrai. Jésus ne me choisit pas parce que j’ai des infirmités, des vulnérabilités, des aveuglements mais avec mes infirmités, mes vulnérabilités, mes aveuglements.  Qui se laisse envoyer voit. Et la personne qui voit devient un témoignage voyant et vivant.

Les yeux de l’homme s’ouvrent sur une lumière qui est différente de la lumière du jour. Jésus nous relie à cette lumière, cette lumière a sa source en Dieu lui-même. Cette lumière brille dans les ténèbres du monde, même si elles continuent à la refuser.

Au cœur même de ce qui semble le plus terrible à vivre, là, justement Dieu survient et se rend présent.

Dieu tout Autre, Dieu Tout proche, Dieu avec nous, Dieu dans le visage du Christ qui cherche à épouser les puissances qui nous retiennent dans l’ombre et nous empêchent d’être vivants. 

Nous ne pouvons pas faire que les ténèbres ne soient pas là, en nous et dans le monde. Nous ne pouvons pas non plus éviter d’être aveuglés par des illusions qui embuent notre regard. Mais quand nous n’y voyons plus rien, quand tout semble vain et désespéré, c’est là justement qu’il nous est donné de croire en un Jésus qui s’arrête auprès de l’aveugle que nous sommes.

Pour l’entourage, comment comprendre ? 

Est-ce qu’il est prêt à se laisser bousculer dans sa logique ? : S’il est aveugle, c’est qu’il l’a mérité, ou du moins ses parents ! Il faut bien une explication au mal !

Chercher à comprendre le mal en trouvant un bouc émissaire, ou en accusant quelqu’un.  Il m’a été confié : ah ben s’il lui arrive ce drame c’est qu’elle a dû faire quelque chose de mal ou ne pas assez croire. » 

Pour justifier le mal, un drame, il faut un fautif. 

Est-ce que ça tient la route ?

Vous vous souvenez de Job ? Job se sait intègre, il a la conscience légère. 

Job met d’abord son énergie dans une lutte perdue d’avance pour comprendre l’injustice. Il a l’audace d’accuser Dieu, d’entrer en procès avec lui.  En gros, Job lui demande de se remettre en question, d’être le Dieu juste qu’il prétend être et de faire cesser tous ses malheurs, de tenir compte de sa fidélité. 

Dieu ne répond pas de ses actes, il entre en dialogue avec Job. Dieu ne se justifie pas d’agir ainsi ou pas, mais il lui pose des questions, il le fait réfléchir sur l’ordre de l’univers. Job va comprendre que tout est à un degré de complexité si intense que tout reste en dehors de la portée de sa compréhension humaine, que Dieu seul peut mettre de l’ordre dans le désordre.  Dieu l’invite Job à tirer son énergie de leur relation, il l’accompagne à accepter ce qu’il ne peut changer, à lâcher prise, à arrêter de se tourmenter. Dieu va nourrir la confiance qu’il demeure de son côté parce que c’est vraiment difficile d’accepter la loi du hasard qui tombe sur le juste comme sur le méchant. 

La question n’est pas de savoir si je suis juste ou pas. 

La question n’est pas de savoir - comme avec notre aveugle - qui a fait faux, qui a fait mal.  Je perds de l’énergie à chercher un fautif : c’est à cause d’elle, de lui, de Dieu.  S’il y a une raison à une maladie, elle n’est pas dans le passé mais elle est à chercher dans l’avenir. 

La question n’est pas de comprendre pourquoi la maladie mais comment manifester les œuvres de Dieu jusque dans la maladie ou dans une situation labourante.  Oui, la souffrance envenime l’existence, et elle enseigne aussi. Attention ça ne veut pas dire que c’est cool de souffrir, mais ça veut dire qu’on peut en faire quelque chose. 

Il y a des épreuves qui sont l’occasion d’un réveil, d’un éveil. Il y a des souffrances qui font voir ce qu’on n’avait jamais vu jusque-là, elles deviennent des signes du travail de Dieu en nous.

Les voisins et d’autres ont envie de savoir comment l’aveugle a reçu ce miracle et qui a fait ça. Comment un homme de boue a-t-il pu devenir un homme debout ?!   Les voisins ont de la chance : l’ancien mendiant leur raconte ce qu’il sait, même s’il ne sait pas tout. Il ne sait pas répondre à la question, où est parti Jésus, où est parti la Lumière du monde ?  C’est vrai ça, c’est une bonne question : Mais où habite la lumière ? Ni l’aveugle, ni Job ne peuvent répondre, mais tout 2 se font finalement rejoindre par elle.

Les voisins est-ce qu’ils s’intéressent vraiment au mendiant ou est-ce qu’ils sont court circuités par leur incompréhension ? 

Ils auraient pu demander ; ça te fait quoi de voir pour la première fois ? Tu te sens comment ?  En posant la question peut-être qu’ils auraient pu reconnaître le divin ouvrant les yeux en lui, sans chercher d’explications « terre à terre ». 

Ils se seraient peut-être posé la question : est-ce que par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ?

Parce qu’en ouvrant les yeux spirituellement, les besoins changent. Il peut y avoir une prise de conscience d’une inversion des rôles : Qui est vraiment mendiant ? Qui est vraiment aveugle ?  Les voisins mendient auprès de l’aveugle né qui voit et ne semble rien avoir. Pourtant le voici riche d’une expérience, il ne va pas se taire. 

La lumière en chacun.e de nous circule lors de la rencontre des âmes entre elles.

On n’a pas besoin d’être parfait pour transmettre nos expériences avec le Vivant. On a juste besoin de se mettre en route et de dévoiler ce que nous choisissons à l’autre.

Se trouver entourés de chacune de ces flammes uniques. Regarder ces flammes qui brûlent dans le même souffle, peut nous renvoyer à l’aveugle. Individuellement et ensemble, nous pouvons être un signe vivant de la gloire de Dieu. 

« Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est au-dedans de nous. Elle est en chacun de nous, et en laissant briller notre propre lumière, nous donnons incidemment aux autres la permission d’en faire autant. » (Nelson Mandela)

L’œuvre de Dieu, c’est non seulement que l’aveugle voie, mais c’est surtout que les pharisiens, qui représentent l’aveuglement de ceux qui croient savoir, se mettent à douter en disant : Est-ce que par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ? (v.40) C’est là qu’a lieu, en fait, le vrai miracle.

Tant que nous en restons au « parce que » qui veut expliquer le mal, nous restons effectivement dans les ténèbres de l’aveuglement. Nous ressassons éternellement du même, sans que rien ne s’ouvre en nous. Nous laisser toucher, comme l’aveugle s’est laissé toucher par Jésus, alors même qu’il n’avait rien demandé, ouvre de nouveau horizon et ça nous met de la lumière plein les yeux. 
 

Nous devenons des envoyés voyant.

Amen.

Lectures : Esaïe 42,1-3 ; 1 Pierre 1,1-2 ; Jean 15,16-17

« Dieu t’a choisi »

Dieu t’a choisi toi. Pas quelqu’un d’autre. Il n’a pas choisi des gens en général. Il t’a choisi toi, toi tel que tu es maintenant, toi dans ta singularité, ton unicité.

Doutes

Ça peut te paraître étrange – sans doute que ça te paraît même un peu suspect. Et tu aurais bien des raisons d’être suspicieux ! Ça sent le piège à con ce truc.

Cette phrase sonne comme un appel au recrutement. L’oncle Sam, avec sa barbichette qui, l’air sérieux, pointe son doigt impérieux dans ta direction. Une manière de venir te chercher dans ta fierté, de te faire sentir important – pour mieux t’attirer dans le système ?

 Cette phrase, c’est aussi une manière de venir te chercher dans ton intimité. Dieu t’a choisi toi – la phrase sous-tend qu’il sait qui tu es, toi – vu qu’il peut te choisir. Car il sait qui tu es, il sonde les secrets de ton cœur et connaît les fils de tes pensées.

Il faut le dire : c’est aussi un peu intrusif ce truc : « Dieu t’a choisi toi ». De quoi je me mêle ? Il te tend la main, pour mieux te prendre le bras.

Et pourtant, c’est bien ce qu’il a fait. Dieu t’a choisi toi. Et avec toi il en a choisi d’autres aussi – à commencer par Abraham, son fils Isaac, les enfants de Jacob, Israël et tous les membres de l’Église du Christ à travers les âges. Toutes les personnes à qui Dieu adresse cette même phrase.

Mais s’il l’a adressé à eux, il te l’adresse bel et bien à toi. Il t’a choisi toi – toi qui ne te laisses pas résorber dans la masse (même si parfois on aimerait bien), toi qui as ton histoire, tes rêves, tes envies, tes frustrations, tes parts d’ombre et tes questions.

Pour quoi est-ce que Dieu t’a choisi ?

S’il te choisit, c’est parce que Dieu veut t’embarquer auprès de Lui – Lui la source de toute vie, le puit auquel on peut se rafraichir, la joie qui irradie et s’infiltre dans les plus petites fibres de l’être.

S’il te choisit, c’est qu’il te prend auprès de lui, à cet endroit où toute chose trouve son origine, sa prime vitalité. Car là où se trouve Dieu, le désert se met à fleurir, la mer se remplit de vie – l’air devient respirable.

Mais en t’embarquant auprès de Lui il t’embarque aussi dans sa mission, dans son amour débordant. Il te choisit pour participer à ce débordement – parce qu’on ne peut pas se trouve auprès de Dieu sans que ce débordement ait lieu.

Donc en un sens : Dieu t’a choisi toi, pour que tu puisses savourer à pleine bouche ta vie, pour que tu puisses découvrir toute la richesse et la saveur indescriptible de ce qui fait ta vie – et pas celle de quelqu’un d’autre. Et à ce même endroit, il y a des vannes qui s’ouvrent, quelque chose qui déborde, qui va au-delà de toi, comme cela va au-delà de Dieu lui-même.

Pourquoi est-ce que Dieu t’a choisi ?

Dieu ne te choisit pas pour tes prouesses, tes performances. Il ne te choisit pas non plus parce que tu sortirais du lot. Il ne te choisit pas parce que tu aurais fait quelque chose d’extraordinaire, que tu serais quelqu’un de bien placé ou que tu aurais compris quelque chose qui échapperait aux autres. Ce n’est pas une question de mérite.

Il te choisit tel que tu es maintenant. Pas pour ce que tu as fait – pas non plus pour ce que tu feras. Dieu ne te choisit pas pour ton potentiel. Tu n’es pas un poulain sur lequel Dieu fait un pari, du style « toi je crois en toi ! » – et sous-entendu : j’attends que tu me rapportes des points.

Et ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit – ce n’est pas non plus à cause de tes défauts que Dieu te choisit. Ce n’est pas parce que tu serais particulièrement pauvre, impuissant, malheureux, en mauvais état ou que sais-je encore que Dieu te choisît. Je sais que quand on est protestant, particulièrement dans le canton de Vaud, on tend à favoriser l’humilité, la discrétion, une certaine forme d’effacement de soi. Mais ce réflexe est mal placé ici : si Dieu ne te choisit pas à cause de tes succès passés ou à venir, ce n’est pas non plus à cause de tes échecs, ou quoique ce soit d’autres de ce style, qu’il te choisit.

S’il te choisit toi, c’est pour la simple raison qu’il t’aime, qu’il veut s’engager pour toi, pour ton bien, pour l’épanouissement de ta vie – comme il s’engage aussi pour d’autres, leur bien et leur épanouissement.

Encouragements

Et je le crois quand il dit qu’il t’a choisi, de la même manière que je crois qu’il a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, qu’il est son Fils, vivant auprès de Lui et vivant en nous par son Esprit.

Et alors j’aimerais t’encourager dans ton élection – car Dieu sait qu’être élu de cette manière n’a rien d’une évidence, que ça n’est le fruit d’une simple déduction, d’une observation que l’on pourrait faire au quotidien.

J’aimerais t’encourager à écouter : à tendre l’oreille, à aménager l’espace et le temps pour laisser résonner les harmoniques de cette phrase « je t’ai choisi toi », dans ta vie, entre les lignes de la Parole que Dieu a tracé dans les Écritures, dans les échos qui rebondissent dans le monde.

Parce que toute la profondeur de ce choix de Dieu – ce choix qu’il a pris à ton égard – ne saute pas toujours aux yeux, parce que ses enjeux sont plus ou moins clairs, plus ou moins évidents. Parce qu’il faut sans doute s’y reprendre à plusieurs fois avant de comprendre la portée de ce choix – ou simplement pour en percevoir les différents aspects, comme il faut du temps pour percevoir les replis d’une toile, d’un tissage, que nous ne finissons pas de découvrir.

Écouter – encore et encore : parce que je te le dis maintenant d’une certaine manière, mais que cela t’a déjà été dit d’une autre manière, et te seras encore dit d’une autre manière, une manière que je ne peux moi-même pas entrevoir, qu’il m’est impossible d’entrevoir.

J’aimerais aussi t’encourager à partager – à partager cette phrase (« Dieu t’a choisi ») à ne pas la garder pour toi, mais à la laisser résonner par-delà toi. À lui donner toute son ampleur : c’est-à-dire, une ampleur dont ni toi, ni moi, ne connaissons encore les limites. Comprends-moi bien : je ne dis pas que tu dois la répéter de manière littérale, comme un perroquet qui répète ce qu’il a entendu.

Ce que je veux dire c’est : laisse à cette phrase toute son ampleur. Laisse-la te surprendre, laisse-la te déborder : tout comme le débordement de l’amour de Dieu a débordé jusqu’à toi.

Car si Dieu t’a choisi toi, pour être à la source, pour demeurer dans son amour, c’est que ton histoire ne s’est pas encore arrêtée, qu’il y a encore quelque chose à venir, qu’une nouveauté inattendue peut survenir au contact de ce débordement – qui jaillit sur toi et depuis toi dans le monde.

Est-ce que je peux vraiment dire beaucoup plus que ça ? Je ne sais pas. Je ne sais pas si je peux être plus précis, plus direct : je ne suis pas toi et je ne suis pas Dieu.

Mais grâce à Dieu, je crois que cette phrase est vraie : Dieu t’a choisi toi, comme il a choisi Jésus-Christ, notre frère, en lui donnant sa vie, en le ressuscitant d’entre les morts en étant avec lui jusqu’à la mort sur cette croix. Et je crois que ce choix change quelque chose dans le monde. Qu’il le transforme. Qu’il le transfigure.

« Voici mon serviteur, je le tiens par la main, c’est lui que j’ai choisi avec joie. […] Je te prends par la main. C’est moi qui t’ai formé. […] tu es la lumière des habitants de la terre. » (Esaïe 42,1-6 – extraits) Comme Jésus-Christ, son Fils bien aimé, tu es cette lumière aussi. Car il t’a choisi.

Elio Jaillet

Lecture : Josué 4,1-7

Une traversée décisive

L’un des récits les plus narré, les plus raconté dans le premier testament, c’est l’histoire de ce peuple en errance qui cherche à rejoindre une terre, la terre promise. Un peuple qui quitte l’Égypte, qui traverse le désert, qui erre… Dans le récit, il y a une dernière barrière à franchir. C’est le Jourdain. Ce fleuve à franchir ne l’était pas à n’importe quel moment : le fleuve était en crue. Imaginez un peu le défi ! Les récits bibliques raconte alors comment Dieu agit. L’Arche de l’Alliance entre dans l’eau et le fleuve s’ouvre afin de traverser à pied sec.

Une fois de l’autre côté, Dieu donne un ordre : Ramasser des pierres. Douze, précisément. Une par tribu. Les poser. Pourquoi ? Parce qu’un jour, les enfants poseront des questions ! Et il faudra raconter : « Voici ce que Dieu a fait pour nous. Voici d’où nous venons. »

Des choses à traverser

Nous aussi, comme personnes, comme familles, comme pays, nous avons des épreuves à traverser, des pages à tourner, des moments à ne pas oublier. Il ne suffit pas de les vivre. Il est aussi souvent nécessaire de se souvenir, de dresser des pierres et parfois de transmettre.

En 2025, nos souvenir sont plutôt digital, plutôt immatériel, … Je ne sais pas pour vous, mais de mon côté, la plupart de mes souvenirs et de mes photos sont stockés sur mon smartphone ! 

Mais dans ce récit, Dieu dit : prenez une pierre, portez-la sur l’épaule et faites un geste concret. Le souvenir, la mémoire, la transmission se vit comme une pierre dressée.

Dolmens et pierres dressées 

Dans la culture européenne, les pierres dressées ne manquent pas. Il y a les dolmens, les menhirs,… Ces pierres mystérieuses qui résistent au temps.

Elles aussi posent beaucoup de questions : sont-elles issus de rituels anciens ? Sont-elles des repères spirituels ? Des tombeaux ? Des lieux de culte ? Personne ne sait vraiment et la recherche continue !

Ce qu’elles ont en commun c’est qu’elles nous obligent à nous arrêter, à demander : « Pourquoi sont-elles là ? Qui les a posées ? Pour dire quoi ? »

Dans la Bible aussi, dans le récit de ce jour, les pierres servent à cela : rappeler la présence de Dieu, signaler un passage, marquer un moment important. 

Les pierres dans la Bible

Je voudrais passer en revue avec vous quelques pierres marquantes dans l’Écriture :

  • Dans le livre de la Genèse, Jacob dresse une pierre à Béthel, après un rêve. Il dit : « Dieu était là, et je ne le savais pas. »

  • Dans le livre de l’Exode, il y a un récit où Moïse frappe à l’aide d’un bâton le rocher, et il en sort de l’eau, et le peuple assoiffé boit.

  • Dans le livre de l’Exode, Moïse dresse douze pierres, pour représenter les douze tribus, au pied du Sinaï.

  • Dans le 1er livre de Samuel, Samuel dresse une pierre et la nomme Ében-Ézer, « jusqu’ici, l’Éternel nous a secourus »

  • David sélectionne 5 pierres polies par la rivière pour affronter Goliath, mais une seule suffira à le tuer.

Dans le Nouveau Testament, la pierre devient plutôt un objet symbolique : 

  • Jésus dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Des humains deviennent alors des repères pour une foi qui se construit.

  • Il y a (hélas !) des récits de lapidation, quand la pierre devient alors instrument de rejet, de fermeture du cœur.

  • Le Christ est aussi comparé à la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie par Dieu. Et nous, des pierres vivantes, appelées à bâtir une maison spirituelle.

Les pierres sont finalement assez ambivalentes : elles peuvent construire ou exclure, rappeler / faire mémoire ou tuer, servir de fondation ou d’obstacle, de murs. Tout dépend de ce qu’on choisit d’en faire ! 

La Suisse, pays de pierre et de montagne

En Suisse, nous vivons dans un pays de cailloux.

La Suisse est faite de roches, de sommets, de parois, de chemins escarpés.

Même le mot « varappe », aujourd’hui utilisé partout en francophonie pour parler d’escalade, vient d’ici : il désigne à l’origine un couloir rocheux près de Genève où l’on s’entraînait à grimper dès le XIXe siècle.

Et puis il y a les noms de nos pierres : granit, calcaire, schiste, grès, quartzite, marbre, serpentine, ardoise…

La Suisse est un pays où chaque montagne a son caractère, chaque vallée, sa texture.

Les Suisse ont appris à marcher, grimper, franchir, à vivre avec la roche. La Suisse est un peuple de montagnards et d’inventeurs de chemins.

Aimer sa terre c’est y marcher avec mémoire et vigilance

Aujourd’hui, au cours de ce culte patriotique, autour des pierres, à notre tour de nous demander : Quelles sont celles que nous avons posées ? Quelles traversées avons-nous vécues dont nous voulons nous souvenir ? Que désirons-nous transmettre ? 

Est-ce que nos enfants diront : « Voilà une terre où l’on a marché avec confiance, où l’on a construit avec justice, où l’on a su questionner ce qui devait l’être » ?

Aimer son pays, c’est le servir, avec courage, le remercier, pour ce qu’il permet mais également le questionner, quand il s’écarte de la justice !

Eloïse Deuker

Lectures : La légende de l'épouvantail (Mireille Pinget) ; 2 Corinthiens 5,14-15.17-19

Faux Dieux

Faire une prédication sur les épouvantails ! Une gageure ! Que dire ?

J’ai déjà eu une bonne surprise. Savez-vous que le mot épouvantail est présent dans la Bible ? … Ou pensez-vous que j’ai trouvé ce terme ? (demander à l’assemblée)

Le mot épouvantail apparaît dans le livre du prophète Jérémie (Jér 10.5). Le Seigneur compare les faux dieux à des épouvantails dans un champ de concombres, pour ne pas dire de cornichons ... L’image ne manque pas d’humour. Ces épouvantails, faits de bois, décorés d’or et d’argent, fixés avec des clous et un marteau pour qu’ils tiennent debout, ces épouvantails ne peuvent pas vous faire de mal, ni de bien, dit Dieu. N’ayez pas peur d’eux !

Une personne me racontait combien ces épouvantails dans le village la mettaient mal à l’aise. Elle avait d’ailleurs déménagé. Elle aurait dû lire le prophète Jérémie. Ces épouvantails ne sont faits que de paille !

Et pourtant ils peuvent être bien jolis, voir sympathiques. Tous ne représentent pas la mort avec sa faux tel celui en-dessous du château, qui est très bien réussi d’ailleurs. Beaucoup parmi vous avez créé des œuvres d’art, vous avez pris du temps, vous y avez mis de l’émotion, de l’élan, de la vie. Vos épouvantails sont tous plus beau les uns que les autres. Il a été difficile hier de les départager pour désigner celui qui recevrait la palme !

Préserver la vie

A quoi sert un épouvantail ?

Le rôle d’un épouvantail est de préserver la vie. Lorsque les étourneaux viennent se régaler des raisins lorsqu’ils sont mûrs, fruit du travail de toute l’année, c’est pas drôle. C’est même dramatique, quand ils détruisent toute la récolte. Ces étourneaux sont des fléaux, tels les plaies d’Egypte. Dieu aurait pu envoyer des étourneaux à la place des criquets. Les cultures furent rasées, il ne resta rien. Rappelez-vous la fête des vignerons en 2019 à Vevey, tous ces étourneaux qui envahissaient la grande scène, il y en avait partout.

L’Epouvantail, au milieu des vignes préserve le raisin des coups de becs, des voleurs, des dévastateurs. L’Epouvantail, remplacé aujourd’hui aussi par d’autres artifices, préserve le fruit de la vigne, pour qu’il puisse donner le meilleur.

La vigne, c’est nous

La vigne dans la bible, on l’a entendu tout à l’heure à la lecture du psaume, la vigne représente le peuple hébreu, le peuple de Dieu. Cette vigne, Dieu l’a déracinée du pays d’Egypte pour la replanter en Terre promise. Le psaume dit que Dieu avait préparé la terre pour l’accueillir. Et pourtant, à un moment donné, Dieu a cassé la clôture qui protégeait sa vigne. Les voleurs ont commencé à marauder, les sangliers déracinaient les plans, les étourneaux piquait le raisin. Alors la vigne a appelé à l’aide son vigneron !

Un millénaire plus tard, Jésus a repris la même image de la vigne. Il disait : je suis le cep, vous êtes les sarments (Jn 15.5). Il ne parlait plus seulement du peuple hébreu, mais de nous tous. Nous tous sommes des sarments, qui prenons appui sur le cep, qui recevons notre force du cep divin, Jésus. Nous ne sommes rien sans le cep. Et c’est alors que nous produisons des fruits savoureux : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, le service, la confiance dans les autres, la douceur, la maîtrise de soi (Gal 5.22). Ces fruits, nous devons en prendre soin pour qu’ils ne soient pas à nouveau mis à mal par les voleurs, les sangliers et les étourneaux.

Réconcilation

Le peuple hébreu avait rompu l’alliance avec Dieu, c’est pourquoi Dieu avait cassé la clôture qui protégeait la vigne, avec les conséquences qui s’en étaient suivies. Un peu comme dans la légende lorsque les épouvantails se rebellent et empêchent les vignerons de faire vendange.

Mais Dieu, n’est pas reparti dans son ciel en se disant : voilà une bonne chose de faite. Non ! Dieu aime son peuple, il était triste d’en être arrivé là, et se demandait comment rétablir l’alliance.

Lorsque son peuple a crié vers lui pour être rétabli, pour que la vigne puisse à nouveau offrir de beaux fruits, Dieu est revenu, ou plutôt, Jésus est venu. On l’a entendu, Jésus a vécu ce que le roi des épouvantails de la légende a vécu. Il est mort, pour que la vie puisse reprendre, pour rétablir l’alliance, pour réconcilier le vigneron avec sa vigne, avec chacun de nous.

Temps des vendanges

La légende raconte que lorsque le roi des épouvantails est mort, tous les épouvantails se mirent à danser et à chanter leur joie. Ils étaient enfin libres.

Il y a là une sorte de résurrection. Les épouvantails retrouvèrent leur fonction première : préserver la vie, préserver la vigne, préserver les bons fruits.

Tous ces épouvantails qui dansent, c’est un peu ces flammes de feu descendues sur les disciples à la Pentecôte. Depuis deux mille ans, nous sommes à nouveau reliés au Cep pour donner le meilleur. La vendange peut commencer !

Conclusion

Je conclu avec une belle image. Lorsque j’étais gamin, à l’histoire biblique, je me rappelle d’un dessin qui représentait deux hommes qui marchaient l’un derrière l’autre avec une perche sur l’épaule qui les reliait. Entre eux, au milieu de la perche, était suspendue une énorme grappe de raisin.

Ce dessin faisait référence à l’épisode où Moïse avait envoyé des éclaireurs en Terre Promise (Nb 13 et 14). Ils en avaient rapporté cette énorme grappe de raisin. Promesse de la fidélité de Dieu, d’une Terre où coulent le lait et le miel. Mais les Hébreux avaient eu peur, car les éclaireurs avaient parlé de géants qui peuplaient Canaan. Du coup, pendant 40 ans, les hébreux ont erré dans le désert, pour rien, car ils  avaient eu peur.

Ne commettons pas la même erreur, et allons vendanger !

Amen

Olivier Rosselet

La légende de l’épouvantail

Planté au cœur de la vigne, les bras en crucifix, un vieux chapeau à la place de la tête, l'épouvantail allongeait son ombre immense sur les souches rousses. Mon oncle Gustave donnait de temps à autre de la voix pour encourager son vieux cheval. La bossette était pleine de raisin et mon oncle était content. Assis à côté de lui, je ne pouvais détacher mes yeux de cette ombre immense qui planait sur la vigne et comme tous les enfants, je posais beaucoup de questions et lorsque je demandai qui avait mis l'épouvantail à cet endroit, Gustave me raconta cette histoire :

"En cette fin de septembre 1387, les vignes de la région retentissaient de bruits inquiétants : cliquetis de chaînes, grincements de branches que l'on tort, claquements de fouets, crissements d'ailes. De temps à autre, le vacarme cessait et sur tout le coteau planait un silence absolu, un silence épais, oppressant. Pas le moindre pépiement, le plus petit bruissement; la nature semblait figée sous une gangue de cire froide. Comme dans les sombres années de peste, on ne voyait personne dans les champs. 
Pourtant, la campagne était belle comme aujourd'hui; les herbes ondoyaient sous la chaude haleine du Morget, les parchets de vigne se teintaient d'automne. Sous le soleil encore vif de ce doux après-midi, la baie de Morges scintillait et au mât du donjon, on voyait flotter le fier étendard des Comtes. Amédée VII, le Compte Rouge et Bonne de Bourbon sa mère, séjournaient donc dans leur bonne ville de Morges.

Le temps de la vendange approchait et pourtant dans les villages environnants où devait s'activer le gent vigneronne, rien ne bougeait. Dans la forge, le foyer était noir et froid. Chez le tonnelier, les bûchilles de chêne éparpillées devant la maison n'avaient pas encore été assemblées. Dans les cours, on aurait dû voir sur les chars, les tines pansues. Aux murs des maisons, portes et fenêtres étaient closes. Puis soudain, montant des vignes, le vacarme reprenait, cacophonie du sabbat ou de l'enfer. Il secouait, comme une houe, les pans épais des maisons. La nature, elle-même, frissonnait et se recroquevillait sous ce déluge sonore. (cacophonie du Jazz band)

À Denens, en haut du chemin qu'encadrent les deux grands murs de pierre, dans la maison grise, autour de la longue table de chêne, tous sont là : les deux valets, la servante, les cinq enfants, le Maître, sa femme et la vieille. Tous se cramponnent à cette grande planche, ce morceau de bois qui les unit. Ils sont là, immobiles, pétrifiés par le tumulte qui se déchaîne au-dehors. Sur leurs lèvres balbutiantes naissent des prières désespérées. Cela fait plus de quinze jours qu'ils se terrent dans leur maison, comme des lièvres pris au piège.

Soudain, le bruit cesse, se casse, se fend net comme le bois sous le coup de la hache. Et tous sursautent tellement ce silence est tranchant. Alors le Maître se lève d'un bond et de sa voix forte et ferme, il crie : "Ça suffit !". Il se dirige vers la porte, soulève la barre qui la bloquait. Sa femme se précipite sur lui pour l'en empêcher, il la repousse sans ménagement et il sort dans la lumière blanche de la cour. D'un pas décidé, il descend le chemin qui s'engouffre entre les gros murs de pierre. Il va sans se retourner. Cette fois, il a pris sa décision; il descend à Morges. Et pendant qu'il avance à grandes enjambées, il prépare son discours. Pour se donner du courage, voilà qu'il se met à parler tout haut :

- Moi, Agénor, Maître vigneron, je vais lui dire au Comte Amédée qu'au village, nous avons toujours respecté son père et que nous avons toujours été reconnaissants à la maison de Savoie de nous avoir affranchis des redevances au seigneur de Vufflens, et que cette lamentable histoire d'épouvantails n'est qu'un simple malentendu.

Et il se revoit il y a deux vendanges de cela dans la salle d'audience où Amédée, le Comte Rouge et Bonne de Bourdon, sa mère, recevaient la délégation de vignerons qu'il dirigeait. Ils l'avaient tous poussé en avant car ils n'osaient pas parler, eux. Alors, il avait expliqué à leurs seigneuries ce qui se passait dans le vignoble : les oiseaux qui fondaient en essaims sur les grappes traluies, qui crevaient les grains avec une avidité jamais rassasiée. Et la récolte commençait à roussir avant même que le raisin soit mûr. Eux ne savaient plus comment se défaire de cette plaie. Ils voyaient fondre les grappes, consternés, impuissants. Ils avaient beau chasser les oiseaux ici ou là, mais submergés par le nombre, ils ne savaient plus où donner de la tête.

Alors Bonne avait fait un signe de la main; et un homme de petite taille était sorti de derrière la tenture blanche et rouge qui ornait le mur où s'appuyait l'estrade. Il s'avança, sans que bouge un pli de sa robe de gros velours noirs. Son front chauve était barré de fins sourcils et ses lèvres brunes encadrées d'une moustache et d'une barbichette effilées. Agénor s'en rappelait comme si c'était hier :
 - Il avait fait deux pas dans notre direction et lorsqu'il avait ouvert ses yeux, qu'il avait gardés mi-clos jusque-là, nous avions tous reculé. Le petit homme nous fixait de son regard jaune, ses pupilles réduites à un point noir minuscule nous avaient transpercés. Il prononça alors d'une voix très douce mais insinuante des mots qui sont restés gravés dans ma mémoire : "Prenez des fourches, des chaînes, des vieux balais, des citrouilles, de la paille et des guenilles. Avec deux morceaux de bois, construisez une croix. Faites-lui une tête avec la citrouille, habillez-là de guenilles que vous remplirez de paille et plantez ces épouvantails au milieu de vos parchets. En les fichants en terre, prononcez ces mots : "Deus, salve uva ab Luciferi avibus, Amen". (« Dieu sauve le raisin des oiseaux de Lucifer. Amen »)

Cet homme qui venait de parler, on l'appelait le Moine. C'était le conseiller personnel de Bonne de Bourdon. On le disait aveugle et un peu sorcier. Ses yeux jaunes et son allure inquiétante le faisaient détester et sans la haute protection de la Comtesse, il aurait sans doute fini ses jours sur le bûcher. 

Alors la Comtesse prit à son tour la parole, se tournant vers son fils, dont le visage fermé disait bien sa perplexité et son peu de sympathie pour le Moine, Bonne commença par vanter les vins de ce vignoble de Morges, puis elle suggéra à Amédée de tirer parti de ce service rendu à ses sujets. Elle proposa que les vignerons, une fois débarrassés des oiseaux, apportent chacune une brantée de leur meilleur parchet. Dans ce beau Chasselas de Vaud, le grand échanson, se chargerait de faire mûrir un vin digne de leur table de Ripaille. Le Comte approuva et fit promettre à tous de s'acquitter ainsi de cette dette. Les vignerons jurèrent sur l'honneur et prirent congé, impatients qu'ils étaient d'aller planter ces épouvantails dans leurs vignes, pour sauver ce qui pouvait l'être encore.

Et cela avait marché. Les oiseaux n'osaient plus approcher des vignes. On les voyait se rassembler par nuées à la cime des arbres; ils piaillaient tout le jour. Puis, un matin, on ne les vit plus. Affamés, ils étaient partis pour des cieux plus accueillants. La vendange fut belle. On festoya autour des pressoirs et l'on oublia la promesse au Comte. Il était si bon, le Comte Rouge qu'il pardonnerait certainement. Mais Agénor se souvenait qu'il n'avait pas la conscience tout à fait libre quand il avait rangé son épouvantail dans la remise et il pensait tout haut : - Je leur avais dit qu'il fallait apporter cette brantée de raisins, on avait promis. C'était juste. Mais ils étaient tout à leur pressée et ils riaient comme des fous. Alors je m'étais tu.

L'année suivante, lorsque les grains sont redevenus transparents, nous avons ressorti nos épouvantails et nous les avons plantés en terre après avoir prononcé la formule que le moine nous avait dictée. C'est alors que les épouvantails, tous en même temps, ont commencé à secouer leurs chaînes, à battre l'air avec leur faux ou leur balai. Ils se tordaient sur leur pied puis ils ont entamé une danse folle à travers les souches. Le vacarme s'élevait, infernal, de toutes parts. Ils nous poursuivaient jusque sur les chemins. C'est là que nous nous sommes tous barricadés dans nos maisons. Alors le vacarme n'a plus cessé. Nous dans la pénombre, à bout de nerfs, terrorisés, nous avons attendu, une quinzaine, qu'advienne la punition du Très Haut.

Il se disait tout cela, Maître Agénor. En voyant la campagne si belle, si éclatante, il pensait que les temps ne devaient pas être si proches. Il lui semblait impossible que Dieu détruise sa création alors qu'elle resplendissait dans sa maturité. Il était ému de tant de beauté. La caresse du vent sur sa nuque, ce soleil qui enflammait les nuages sur le couchant, le lac qui changeait de couleur à chaque instant et ces vignes tout autour de lui, qui promettaient une récolte somptueuse ! Dieu ne pouvait pas précipiter tant de grandeur dans le néant. Il y avait de la sorcellerie là-dessous. Et la conscience un peu lourde, il se doutait bien qu'il devait y avoir une explication à trouver du côté du château.

À mesure qu'il approchait des portes de la ville, il se sentait ragaillardi par cette vie qui vibrait, là, tout près. Maintenant il n'était plus seul sur ce morceau de terre. Il entendait battre le cœur de la cité. Les odeurs de sa race lui montaient aux narines. Lui qui, d'habitude répugnait à se mêler à la populace de ces rues bourdonnantes, il respira avec un frisson de plaisir ces exhalaisons d'immondices qui flottaient autour des murs. Ca puait la charogne que se disputaient des chiens faméliques, ça puait l'urine et la pourriture. Le long des fossés, des pauvres en loques arrachaient aux restes d'un char quelques morceaux de bois pour l'hiver. Pour un fois, Agénor trouva que cela sentait bon l'homme. Sans s'en rendre compte, il se retrouva devant la porte du château. Toute sa joie s'évanouit brutalement. Il recherchait désespérément les belles phrases qu'il avait préparées. Mais tout s'embrouillait, les mots ne venaient plus et il n'avait qu'une envie : prendre des jambes à son cou et remonter au village. Mais les épouvantails ressurgirent. Il les voyait s'agiter… Alors il s'approcha du garde pour demander audience. Les jambes tremblantes, la gorge nouée, il pénétra dans la grande salle où le Comte, un sourire narquois sur les lèvres, le regardait.

Deux heures plus tard, lorsqu'il reprit le chemin du village, il était encore tout en sueur, les mains tremblantes, étonnée que lui, Agénor, eut tant de courage face à un grand de ce monde. Il était un peu fier de lui. Il convenait que le Comte Amédée l'avait bien aidé à défendre sa cause. Il lui restait à convaincre les autres du marché qu'on lui avait proposé. Il avait obtenu une trêve de deux jours; deux jours sans vacarme. S'il réussissait, la récolte était sauvée. Sitôt arrivé à Denens, il alla droit au grenier, en sortit le vieux tambour de son père. Sur la place du village, il battit le rappel et harangua la population : “Commères et compères, le moine nous a jeté un sort. C'est lui qui a envoûté les épouvantails pour nous punir. Souvenez-vous de ce que nous avions promis : la brantée de raisin. Le Comte est fâché. Il ne voulait rien entendre mais j'ai réussi à le convaincre. Il nous pardonnera si nous lui apportons le raisin. Les tambours du Comte viendront délivrer nos vignes et quérir les brantards. Alors, que décidez-vous ?”

La discussion fut fort brève. Après quelques instants de stupeur, l'écho fut unanime :
- Nous paierons !
Maître Agénor, soulagé, partit aussitôt en campagne. Avec son tambour et sa bonne foi, il réussit à convaincre les vignerons des villages voisins. Le 29 septembre, le raisin était mûr, doré; on attendait partout avec impatience la venue des tambours et lorsqu'on entendit les premiers roulements du Côté d'Echichens, ce fut un grand soulagement. Après avoir parcouru tout le vignoble, la troupe arriva à Denens. Chaque brante était escortée par quelques tambours aux couleurs de Savoie. Derrière eux, enchaînés, suivaient une horde piaillante de diables grimaçants agités de convulsions. Ils essayaient à tout moment d'échapper au sortilège des tambours. Il leur aurait suffi de se boucher les oreilles. Mais les liens qui entravaient ce qui leur servait de mains les en empêchait, malgré leurs contorsions désespérées. Parfois, l'un ou l'autre essayait de blesser un badaud en se jetant à corps perdu dans la foule qui les conspuait. On s'arrêta dans la grande cour pavée du château où attendait le grand échanson. Il inspecta la récolte, après avoir goûté un grain de chaque brante, il prononça ces mots devenus célèbres :

"Gentils vignerons, vous avez finalement respecté le contrat. La récolte est belle. Avec l'aide du Ciel, vous avez fait noble et bel ouvrage. Au nom de sa Seigneurie Amédée, je déclare la levée des bans. La récolte peut commencer." Dans la cour du château, le Comte et la Comtesse attendaient. Une tine de chêne noir trônait devant les murs. L'échanson pénétra le premier dans la cour. Les souverains apparurent au bas de l'escalier. Chaque commune fut invitée à déverser sa part dans la tine. Quand ce fut fait, le Comte, homme généreux, les remercia. Ensuite, un immense épouvantail de bois et de paille fut amené dans la cour. Aussitôt, les autres diables sortirent de la torpeur où ils étaient plongés depuis le début de la cérémonie. Échappant à tout contrôle, ils se ruèrent dans la foule, semant l'épouvante.

Tout à coup, le Moine surgit, au moment où un épouvantail s'en prenait à Bonne de Bourdon. Ses yeux jaunes lançaient des éclairs. Il étendit les bras. Un fracas épouvantable arrêta net tous les élans. Les créatures s'alignèrent sagement derrière les tambours. Le Moine se mit à parler : "Voici le roi des épouvantails. Emmenez-le en ville et brûlez-le sur la Grand Place. Alors seulement, vous serez délivrés du sortilège." On vit alors à travers la Grand-Rue cette procession de fantômes qui s'avançait d'un pas lent rythmé par les quatre premiers tambours. Le char sur lequel on avait juché Sa Majesté des Épouvantails était éclairé de torches. Derrière, les vignerons curieux de savoir comment s'achèverait le maléfice.

On dressa un bûcher en toute hâte et Maître Agénor, lui-même, y bouta le feu. Il entonna le chant de la vigne et la foule saisie d'émotion se mit à chanter avec lui. Les épouvantails assistaient aux derniers instants de leur roi en gémissant et en se tordant de douleur. Tout à coup, la tête du roi explose dans une gerbe étincelante. Les épouvantails poussent un long hurlement et soudain se mettent à danser et à chanter leur joie. Une folle sarabande commence; enfin ils sont libérés du sort que le Moine leur avait jeté. Puis ils s'égaillent, enfin libres, dans le foule en liesse. « La vendange peut commencer."

Mon oncle arrêta de parler. Je le regardai tout étonné : lui qui d'habitude parlait si peu, il avait raconté cette histoire avec tant de passion, il y avait mis tant de couleurs, tant de vérité que j'en étais abasourdi. Il ne dit plus un mot pendant le reste du chemin. Et je me mis à rêver à Maître Agénor, au Comte Rouge, aux rues de Morges, à la lueur des torches, aux épouvantails enchaînés et à la fête qui se répandait comme une traînée de poudre dès que le Roi avait fini de brûler. Je n'ai jamais su de qui mon oncle avait appris cette histoire et je n'ai jamais eu envie de savoir si elle était vraie. Aujourd'hui, lorsque je vois des épouvantails, dans les vignes autour de Denens, je me demande qui sait encore d'où viennent ces fantômes.

Un compte de Mireille Pinget

Lectures: Genèse 8,20-22 ; 1 Pierre 2,4-10 ; Matthieu 5,14-17

Une série sur 1 Pierre

Durant ces deux dernières semaines, j’ai proposé quelques méditations sur la vie chrétienne : la première autour de la joie et de la source qui permet de nourrir cette joie, la deuxième autour de l’appel à la sainteté, comme une manière de nous placer dans la créativité divine, dans la lutte et la résistance face à ce qui vient distordre la relation que Dieu a avec ses créatures (le mal, le péché, la mort). 

Cette semaine je vais me concentrer sur un troisième point, qui se rapporte à la mission qui est la nôtre comme Église de Jésus-Christ, comme chrétiens et chrétiennes.

Habituellement quand on parle de la mission, on cite volontiers ces versets bien connu de la fin de l’évangile selon Matthieu : « Allez, faîtes des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. » (Mt 28,19-20a) « Faire des disciples », « baptiser », « enseigner » – à vos ordres mon commandant ! Dit comme ça, ça paraît tout simple non ? 

Mais aujourd’hui j’aimerais vous proposer un autre texte, toujours dans la première lettre de Pierre : « Vous servirez à construire la maison de l’Esprit Saint. Vous formerez une communauté de prêtres saints, pour offrir des sacrifices spirituelle, que Dieu acceptera à cause de Jésus-Christ […] Vous êtes le peuple que Dieu a choisi pour annoncer les grandes choses qu’il a faites. » (v. 5 et 9 PDV).

Nous sommes une nation de prêtres, un « sacerdoce royal ». C’est la même déclaration que Dieu a fait au peuple d’Israël, sur les versants du mont Sinaï, alors qu’il venait de les libérer de l’esclavage et qu’il s’apprêtait à se lier à eux, à faire alliance. La première lettre de pierre rejoue ici sur ce moment fondateur de l’histoire du peuple élu, ce moment où le peuple reçoit sa tâche, sa raison d’être dans le monde : être une nation sainte, un peuple de prêtre dans le monde. 

L’auteur de la première lettre de Pierre veut nous parler du point où tout commence, de l’origine de l’Église, du moment dans lequel nous trouvons notre identité comme chrétiens, le moment où nous recevons notre propre mission – une mission qui se situe dans la continuité de celle dévolue au peuple élu, tout en la renouvelant.

Que font des prêtres ?

Cette mission est liée à la prêtrise : nous sommes appelés à être prêtres. Entrons dans les détails de ce que ça pourrait vouloir dire. 

Dans l’antiquité, les prêtes ont un certain nombre de tâches à leur actif : ils sont des référents en matière de pureté, ils peuvent entrer en contact avec le sacré, ils parlent avec les dieux, soignent leurs effigies, s’occupent le temple, ils font parfois des divinations, etc. Leur rôle, c’est de gérer les activités liées au divin et au sacré. Une activité qui se trouve au centre de leur cahier des charges, c’est le sacrifice – un autre terme central dans le texte que nous avons entendu. Être prêtre, c’est réaliser des sacrifices. 

Quand on parle de sacrifice dans notre culture, on imagine une transaction : le sacrifice désigne le prix à payer pour accéder à quelque chose. Je suis prêt à sacrifier un peu de mon temps, ou de mon argent, pour une bonne cause, un achat que je veux faire, pour faire plaisir à quelqu’un, etc. Le sacrifice fonctionne comme une transaction économique. Ce n’est pas tout à fait comme cela que ça marche dans l’antiquité : ou tout du moins, cette perspective est trop restreinte.

Dans l’antiquité, le sacrifice assure la permanence du lien entre le monde des dieux et le monde des vivants. Le sacrifice permet d’entrer en contact avec le divin, d’honorer sa présence. La meilleure image est sans doute celle du repas : le sacrifice est le moment où l’on partage le repas avec la divinité et la consommation des offrandes, le fait qu’elles soient brûlées par exemple, est comme une manière de signaler que la divinité a pris part au repas, qu’elle a pris sa place à table, qu’elle est présente parmi nous – et que nous pouvons en conséquence bénéficier de sa présence. C’est pour cela que les sacrifices sont quotidiens : parce que c’est tous les jours que le peuple dépend des bénédictions que lui accorde la divinité. Certains sacrifices ont pour rôle de manifester la purification ou de réparation d’un tort commis. Mais là aussi, c’est plus large qu’une simple transaction : le sacrifice c’est le moment de la communion, où le divin est présent au peuple et vice-versa.

L’offrande avec laquelle je viens (les animaux, les fruits de la terre, l’argent) vise à honorer la présence des hôtes : comme la bouteille de vin que j’apporte quand je viens à un repas. Ou simplement les bons vœux que j’adresse à celles et ceux qui m’ont invité.  Le sacrifice concerne la relation entre la divinité et son peuple, une relation qui relève d’une logique du don et de la surabondance.  Je veux le dire simplement le sacrifice c’est ce que nous donnons en signe de reconnaissance d’un bien que nous avons déjà reçu. Et dans la culture antique, le prêtre est celui qui permet à ce don de se réaliser.

Jésus-Christ appelle pour sa part à un recentrement du sacrifice : il voit bien comment tout le système qui s’est organisé autour du temple détourne en fait le sacrifice de son sens initial, qui est de manifester la reconnaissance envers Dieu. Il suffit de penser à l’épisode des marchands du temple.

Alors vient cette idée du sacrifice spirituel : le sacrifice spirituel n’est pas un sacrifice immatériel, mais un don qui s’enracine dans l’œuvre de l’Esprit-Saint. Il devient ce que nous donnons dans l’Esprit du Christ – et la première lettre de Pierre renvoie à différentes choses : l’amour mutuel, le don de soi, la contribution au bien commun. Mais ce choses ne sont pas comme telle un sacrifice spirituel. Ce n’est pas parce qu’on contribue au « bien commun » qu’on réalise son sacrifice spirituel. Ce sacrifice est spirituel lorsqu’il manifeste les œuvres merveilleuses de Dieu. Il est spirituel parce qu’il relève uniquement du don, parce que nous n’attendons rien en retour, parce qu’il est un pur acte de reconnaissance à l’égard de Dieu, qui nous a tout donné.

Qui est prêtre / prêtresse ? 

 L’accès à cette prêtrise n’est plus limité par l’appartenance à une famille, ou à une caste : elle est ouverte à toutes celles et ceux qui mettent leur confiance en Jésus-Christ et dans celui qui l’a relevé d’entre les morts.

La prêtrise du peuple d’Israël est fondée dans la libération du peuple hors d’Égypte. La prêtrise des chrétiens est-elle fondée dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, qui élargit la libération à l’ensemble des peuples de la terre, à toute la Création. Dans la foi, nous découvrons que notre liberté, la vie éternelle, la joie, la sainteté nous sont données, et reconnues gratuitement, dans la vie de cet homme.

Les sacrifices que nous apportons devant Dieu, rappelle au monde que c’est de cette gratuité que nous vivons. Ils montrent au monde où la vie trouve sa source : dans cet amour infini, dans ce don sans conditions. Et ces sacrifices nous pouvons les faire partout où nous nous vivons : dans notre vie de famille, dans notre travail, dans nos engagements divers et variés, dans notre cheminement personnel. Le temple où nous réalisons notre sacrifice, c’est notre personne, c’est nous-mêmes et les situations dans lesquelles nous nous trouvons – parfois avec d’autres croyants, parfois comme seul chrétien, mais toujours avec l’aide de Dieu.

Alors j’aimerais vous y encourager, à trouver dans votre quotidien ces moments où vous amenez votre bouteille à la table de Dieu – où le moment présent, quel qu’il soit, devient la fête de la reconnaissance gratuite vécue avec Dieu. Parce que vous êtes prêtres et prêtresses de ce Dieu, pour le monde, pour la joie de son salut.

Amen

Elio Jaillet

Lectures : Esaïe 29,22-24 ; 1 Pierre 1,13-21 ; Marc 19,18-23

Une série sur 1 Pierre

la semaine passée, j’ai insisté sur la thématique de la joie et sur la promesse de vie qui permet de ressourcer constamment à neuf cette joie. Et j’ai indiqué à la fin de la prédication que la vie, la mort et la résurrection de Jésus sont les signes que Dieu a placés dans notre histoire, dans notre monde, pour montrer comment il compte tenir cette promesse, la réaliser – pour nous aussi. Cette référence à la vie, à la mort et à la résurrection de Jésus est revenue de manière forte à la fin du texte de la première lettre de Pierre : c’est réellement elle qui fait office de point de référence pour tout ce que nous avons à comprendre de notre vie en présence du Dieu vivant.

Elle sert également de point de référence pour ce que j’aimerais aborder aujourd’hui avec vous : la thématique de la sainteté. C’est important de le rappeler, parce qu’avec la thématique de la sainteté on s’engage en fait sur un chemin dangereux, plein d’embuches et de contresens possibles : un chemin qui plutôt que de nous libérer, présente le risque de nous enfermer à nouveau – la méditation de la mort et de la résurrection de Jésus sont là pour contrer ces formes d’enfermement. Je vais y revenir.

L’appel à l’exigence

Mais donc, la sainteté : je vais re-citer l’extrait que je veux mettre au centre de cette prédication. « Comme des enfants obéissants, ne vous conformez pas aux désirs que vous aviez auparavant, alors que vous étiez ignorants ; mais, de même que celui qui vous a appelés est saint, vous aussi devenez saints dans toute votre conduite, puisqu'il est écrit : vous serez saints, car, moi, je suis saint. Et si vous invoquez comme Père celui qui, impartialement, juge chacun selon ses œuvres, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre séjour à l’étranger. » (1 P 1,14-16)

Un texte dense, plein d’allusions, que je veux essayer de résumer de la manière suivante : si vous vivez de la foi née de la mort et de la résurrection de Jésus, alors vous êtes appelés à vivre d’une certaine manière. Car, la manière dont vous vivez n’est pas égale pour ce Dieu en qui vous portez votre foi : vous êtes appelés à être saints, comme lui est saint.

Être chrétien, c’est donc suivre un appel à être saint. C’est se mettre à l’école d’une certaine exigence.

Impasses

Avant de dire de manière positive ce qu’il en est de cette sainteté – comment on pourrait la comprendre – je veux indiquer quelques impasses : dans le christianisme on a en effet fait tout un tas de choses de cette exigence de sainteté qui l’ont détourné, qui l’ont mise au service d’une logique de soumission et de tristesse qui n’a rien à voir avec la vie que Dieu nous donne et veut toujours nous donner.

Une première impasse, ce serait de comprendre l’exigence de sainteté comme une exigence de perfection. Être saint, c’est être parfait comme Dieu est parfait. Cette piste mène au burnout, au désespoir. L’exigence de sainteté ne veut pas dire que nous devons œuvrer à être parfait. 

Une deuxième impasse serait de comprendre l’exigence de sainteté comme une exigence de pureté – il y a des choses avec lesquelles nous pouvons entrer en contact, d’autres avec lesquelles on ne peut pas entrer en contact sans cesser d’être saints. Je ne vais pas m’étaler là-dessus, mais toute la vie de Jésus s’oppose à une telle conception de la sainteté.

Une troisième impasse serait de réduire l’exigence de sainteté à une question d’obéissance morale : il s’agirait au fond de chercher à faire le bien en toutes choses – alors : ne le voyez pas comme un encouragement à faire le mal ! Mais il y a des situations où la division binaire entre le bien et le mal ne fonctionne tout simplement pas, où elle est mise en échec – et c’est précisément ce genre de situation qui appelle à la sainteté !

Conception positive de la sainteté

Maintenant que j’ai pris le temps de dire ce que n’est pas cette exigence de sainteté, je veux essayer de dire ce qu’est cette exigence de manière positive – et vous avez le droit de ne pas être d’accord ! 

La sainteté désigne d’abord quelque chose qui appartient à Dieu, ou à la sphère du divin. Dieu est saint. Et ce qui appartient à la sphère d’influence, ou de présence, de Dieu est saint. C’est une première manière de définir la sainteté.

Et ça veut dire une chose importante qu’il faut avoir à l’esprit : quand Dieu attend de nous que nous soyons saints, cela veut dire qu’il attend de nous quelque chose qu’il attend de lui-même. L’exigence de sainteté nous appelle à nous tenir dans la présence de Dieu – non pas à distance de Dieu. Dans ce que nous faisons, nous sommes comme imbibés de lui et par lui. Être saint, ça veut dire être ce que Dieu a le plus en propre – ça ne veut pas forcément dire être divin. Parce que Dieu reste Dieu et nous ne sommes pas Dieu. Mais être saint, cela signifie en tout cas être pleinement en présence de Dieu.

Bon. C’est une conception très formelle de la sainteté. Ça ne nous dit pas encore ce que ça change cette sainteté.

Pour cela c’est intéressant d’aller voir dans quels contextes dans l’Ancien Testament on parle de Dieu comme de celui qui est saint. Ce sont toujours des situations où le peuple élu rappelle l’œuvre libératrice de Dieu – où il chante le fait que le Seigneur a libéré le peuple de l’esclavage, qu’il l’a protégé des armées ennemies, qu’il lui a donné le pays, etc. Vous pourriez aller relire le Cantique de Myriam au chapitre 15 de l’Exode (versets 11 et suivants) – c’est très parlant !

Dans sa sainteté Dieu apparaît comme un Dieu qui libère et qui fait vivre. C’est aussi ainsi qu’apparaît Jésus dans les évangiles et très explicitement dans le récit d’exorcisme de l’évangile selon Marc que nous avons entendu tout à l’heure : Jésus vient libérer les personnes des puissances spirituelles dont elles sont les esclaves. C’est ce qui apparemment permet de le qualifier comme le Saint de Dieu.

Dans sa sainteté, Dieu se révèle comme celui qui lutte contre les forces du mal, du péché, de la mort – la sainteté c’est ce qui refuse ces forces. Cela signifie que notre propre sainteté va elle aussi être marquée de ce mouvement, de cette lutte. Attention : je ne fais que parler d’un mouvement général. Cela ne nous dit encore rien de la manière dont nous-mêmes participons de cette lutte. De la forme concrète que le mouvement doit prendre. Là il faut faire un pas de plus, qui anticipe un peu ce dont il sera vraisemblablement question pour le culte de la semaine prochaine.

En effet, on pourrait être tenté de dire que Dieu nous a donné aussi dans les détails la manière de mettre en œuvre cette lutte – oui, d’une certaine manière il le fait : justement dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus, il nous montre définitivement comment il est le Dieu Saint. Mais par cette manière de faire Dieu, déjoue toutes les rigidifications, en fait toutes les sacralisations d’une manière de vivre ou d’être cette sainteté.

Le texte d’Esaïe au chapitre 29 offre une pointe intéressante à ce titre : l’action libératrice de Dieu invite à l’enseignement. On peut le dire ainsi : en libérant son peuple, Dieu renouvelle aussi la compréhension que le peuple a de Dieu et la compréhension de ce que Dieu attend de son peuple en matière de sainteté. 

C’est là aussi ce qui se passe avec Jésus : il renverse les attentes en matière de salut. Il renouvelle l’interprétation de la Loi. C’est en perdant sa vie qu’il l’a gagné. Paul parle ici de la parole de la croix (1 Co 1,18) : une réalité qui renverse nos attentes et nos représentations de ce qu’il faut faire dans la présence de Dieu. Ainsi en est-il de la sainteté de Dieu.

Et c’est pour cela que le passage de la première lettre de Pierre en appelle tout autant à l’intelligence qu’il en appelle à la foi. Être saint est une invitation à s’engager activement dans un chemin de découverte – il ne s’agit pas de suivre aveuglément des règles. Il s’agit de discerner en fonction de la situation présente ce que la sainteté invite à dire et à faire en vue de la lutte contre les puissances du mal, du péché et de la mort.

Pour résumer

Vivre la foi chrétienne, c’est se mettre à l’école de Dieu lui-même – c’est ça la sainteté. 

Vivre la foi chrétienne, c’est s’inscrire dans ce mouvement de lutte et de libération à l’encontre des puissances qui déforment la création de Dieu – c’est ça la sainteté. 

Vivre la foi chrétienne, c’est, à la lumière de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, développer une écoute attentive et intelligente des situations dans lesquelles nous nous trouvons, afin de découvrir ce que Dieu invente pour cette situation et ce que cette invention nous invite à dire et à faire – c’est ça la sainteté. 

La sainteté, c’est pour nous un apprentissage continu de la puissance créatrice et libératrice du Dieu Éternel, ancré dans la confiance et l’espérance. 

Amen.

Elio Jaillet

Lectures : Genèse 17,1-8 ; 1 Pierre 1,3-9 ; Jean 10,27-30

Une série sur 1 Pierre

Nous vivons une période curieuse – nous avons d’une certaine manière à réapprendre ce que ça veut dire d’être chrétien aujourd’hui : chaque génération a dû le faire, mais ce qui est particulier pour nous, c’est que nous sortons d’une période où « être chrétien » était une espèce d’évidence sociale, partagée par tous et toutes dans notre canton. 

Avec cette prédication et les deux prochaines, je propose de nous plonger dans quelques « fondamentaux » de la vie chrétienne. 

La première lettre de Pierre est intéressante pour faire cela. Elle a été écrite à une période où les premières communautés chrétiennes essayaient de trouver leur place dans l’Empire. Elles l’ont fait non pas dans une perspective de replis, en s’isolant ou en se cachant, mais dans une perspective d’ouverture et de participation à la vie du monde. 

Ancré dans la joie

Une des « marques de fabrique » de cette première communauté est la joie : une joie débordante. Une joie « indicible » et « glorieuse » comme le dit la première lettre de Pierre. Malgré les « souffrances » bien réelles que le monde inflige aux personnes qui se disent chrétiennes, celles-ci rayonnent d’une manière que rien ne peut étouffer – c’est ce que semble affirmer l’auteur de la lettre.

Cette joie n’est pas une illusion, une autosuggestion – elle s’ancre dans quelque chose qui nous dépasse. La joie c’est quelque chose qui nous saisit entièrement. Lorsque nous sommes dans la joie, nous le sommes entièrement. C’est pleinement nous. Et en même temps, cette joie a son origine en dehors de nous. Nous ne sommes pas tout seuls avec cette joie. C’est une joie que nous partageons dans le corps de l’Église, mais aussi avec l’ensemble de la Création – et finalement avec Dieu lui-même.

Sur quoi s’appuie cette joie ?

Pour la suite de ce message, je veux aborder l’ancrage de cette joie – depuis où est-ce que l’on vit comme chrétien ? Qu’est-ce qui est à la source de cette joie ?

Cette question se pose, parce que cette joie n’a en fait rien d’évident. On ne peut pas la réduire à un simple plaisir – même s’il peut tout à fait y avoir du plaisir ! La première lettre de Pierre est claire : la communauté est « attristée par diverses épreuves » (v. 7). La communauté vit des situations qui contredisent la joie, qui posent comme un voile de tristesse sur leur vie. 

Chercher à mettre des mots sur le fondement de la joie, c’est alors indiquer ce qui ressource cette joie, ce qui fait qu’elle est plus rayonnante que toutes les vexations que l’on peut subir du fait d’être chrétien, qu’elle n’est pas simplement livrée aux aléas de l’histoire

Notre héritage : quèsaco ?

Je crois que c’est de cela que parle le verset que j’ai mis en exergue pour cette prédication : l’auteur de la lettre parle d’un héritage que Dieu a réservé « aux siens », un héritage qui ne peut être altéré. Il reste intègre, ne perd pas de sa valeur ni de son éclat.

L’image de l’héritage est forte. Elle nous indique un bien qui nous revient de plein droit. Dans nos cultures on lie souvent l’héritage au moment du décès : une part de ce qui appartenait à une tierce personne nous revient à nous au moment où celle-ci ne peut plus en profiter. L’héritage est hautement réglementé par le droit de succession. Avec l’héritage nous nous retrouvons dans une chaine de personnes – celles qui nous précèdent, celles qui nous suivront.

De quoi est-il donc question ici ?

La terre promise

Dans la tradition biblique, l’héritage est abordé essentiellement dans le cadre de la relation entre Dieu et le peuple qu’il s’est choisi parmi les nations, le peuple élu. L’héritage porte ici essentiellement sur une chose : la terre promise – une terre qui fait couler beaucoup de sang. La terre c’est le fait d’avoir un lieu où l’on peut vivre et grandir. Un territoire à cultiver, un lieu où s’abriter, un lieu de liberté et non d’esclavage.

Mais dans le texte biblique, cette terre n’est justement pas disponible : elle est promise. Pour vous qui avez été déporté, pour vous qui êtes partis en exil, pour vous qui marchez sur les routes du monde, sans avoir de cité qui vous appartienne, il y aura un lieu pour vous.

L’héritage ce n’est pas la terre : c’est la promesse qu’il y en aura une. La promesse ne nous oriente pas sur quelque chose qui serait disponible, mais sur quelque chose qui doit encore se passer, qui doit encore advenir.

Le royaume

Avec Jésus-Christ, cette promesse s’élargit du peuple d’Israël à tous celles et ceux qui se lient à lui dans la confiance. Paul utilise cette idée qu’en Christ nous sommes adoptés par Dieu, intégré dans la lignée du peuple élu – ce qui nous fait participer à son héritage (Galates 4,5). 

En Christ, le sens de la terre promise se précise : il ne s’agit pas simplement de posséder un territoire que l’on pourra administrer de manière souveraine. Il s’agit de la promesse d’une vie possible, une vie libre, heureuse, entière, malgré les échecs, la mort et les servitudes infligés par les aléas de l’histoire. Une vie qui commence dans le périmètre de Jésus de Nazareth, mais qui l’excède, le dépasse lui-même : une vie que les textes du Nouveau Testament appellent le « royaume ». C’est non seulement une terre qui est promise, mais aussi une certaine manière de pouvoir y vivre.

La vie éternelle

L’évangile selon Jean va le plus loin : ce qui est promis, c’est que nous devenions nous-mêmes porteurs de la vie éternelle, d’une vie débordante et généreuse – parce que par son Esprit, Dieu vient faire sa demeure au milieu de nous, au cœur de notre vie, comme il l’a fait en Jésus-Christ.

Résumé

La promesse d’une terre pour vivre, d’un royaume de liberté, du don de la vie éternelle. La première lettre de Pierre parle sobrement de notre salut (v. 9). Ce mot bien chargé, mais qui maintenant gagne peut-être un peu en contenu.

L’héritage qui ne peut être altéré, c’est cette promesse : que nous aurons un lieu pour vivre, que nous pourrons vivre pleinement, que nous-mêmes deviendrons une source de vie – parce que Dieu, le créateur, vient au plus proche de nous. 

Je découvre l’héritage dans l’histoire de Jésus

Notre héritage, c’est la promesse que le salut viendra. Et c’est sur cet héritage que peut s’appuyer, se ressourcer notre joie – que celle-ci trouve son principe d’existence.

Maintenant vous vous dîtes peut-être que ça vous fait une belle jambe d’être héritier d’une promesse. La promesse manque de concrétude, d’assurance. La promesse vaut quelque chose que si celui qui l’a fait s’avère être fiable. 

Dieu tient-il sa promesse ? Est-il fiable ? À cette question, la communauté chrétienne répond oui – elle se risque à cet acte de confiance. 

La résurrection de Jésus, la résurrection de celui qui a été crucifié est le signe que Dieu a posé dans le monde, pour montrer qu’il se tient à sa promesse – même là où apparemment il n’y avait qu’un grand échec, une grande déception, un grand refus. C’est le signe que Dieu reste avec nous jusqu’au bout, pour ouvrir des possibilités de vie insoupçonnées – que rien n’est si perdu, si éloigné, ou altéré au point de ne pouvoir être au bénéfice de la promesse. Avec la résurrection, Dieu montre que rien ne nous coupe de cet héritage.

C’est pour cela que nous méditons la vie de Jésus, pour que nos yeux et nos cœurs s’ouvrent à la réalité de cet héritage, à la promesse qui nous est encore et toujours adressée. 

« Dans sa grande bonté, l’Éternel nous a fait naître à une vie nouvelle, en ressuscitant Jésus Christ d’entre les morts, afin que nous ayons une espérance vivante » (1 Pierre 1,3) voilà la source et le fondement de cette joie chrétienne. Celle des premières communautés – celle qui nous est promise à nous aussi. Amen

Elio Jaillet

Pensée du jour

C'est une parole certaine et digne d'être entièrement reçue, que le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. (1 Timothée 1,15)

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