Interview de Michel Maxime Egger

Michel Maxime Egger donnera une conférence sur la question de la spiritualité face aux grands enjeux écologiques au temple d’Echallens le 13 octobre sur une initiative du pasteur Marc Lennert, dans le cadre du parcours biblique « Quelle place pour l'être humain? ». Il s’est volontiers prêté au jeu de l’interview.

Vous vous présentez volontiers comme un écothéologien. Pouvez-vous nous dire ce qui se cache sous cette étiquette ?
C’est une expression très courante dans le monde anglo-saxon, mais encore peu usitée sous nos latitudes. D’abord, elle désigne un champ théologique particulier et nouveau, qui va au-delà de la théologie de la création à quoi se résume souvent l’écologie chrétienne dans son expression théologique. Dans ma perspective, il s’agit, d’une part, de revisiter de manière critique et novatrice la théologie à l’aune des enjeux écologiques actuels, qui n’existaient pas aux époques bibliques et des Pères de l’Eglise. D’autre part, d’apporter un éclairage théologique et spirituel sur ces mêmes enjeux. Le néologisme qui lie écologie et théologie en un seul mot est une invitation à la transdisciplinarité et au dépassement d’un mode de pensée dualiste, caractéristique d’une certaine rationalité en Occident.

On peut avoir la foi sans pour autant se sentir concerné·e par les questions écologiques, climatiques… Pour vous, ces deux dimensions sont devenues inextricables. Pouvez-vous nous dire comment cette conviction s’est installée en vous ? Y a-t-il eu un événement déclencheur ?
C’est le fruit de mon chemin de vie d’apprenti méditant-militant, centré sur l’accomplissement de l’unité entre le cosmique, l’humain et le divin. Cette quête a pris une nouvelle dimension en 2004, lors d’un extraordinaire forum sur écologie et spiritualité, au centre bouddhiste de Karma Ling en Savoie, où j’intervenais. J’ai compris trois choses. D’abord, que l’écologie pouvait être un formidable laboratoire pour explorer et vivre la nécessaire articulation entre transformation de soi et transformation du monde. Ensuite, que l’écologie devait être verticalisée pour pouvoir répondre en profondeur aux défis planétaires. Enfin, que cette articulation entre écologie et spiritualité n’était pas qu’une affaire privée, personnelle, mais un enjeu sociétal, citoyen, politique.

Vous dites que « écologie et spiritualité forment un tout. Elles sont indissociables, parce que nous sommes avec la terre dans une communauté d’être et de destin ». Pouvez-vous développer cette affirmation ?

On ne peut la comprendre que si nous sortons d’une posture anthropocentrique et de domination, hélas encore très répandue dans les milieux chrétiens. Dans le mot « humain », il y a « humus », la terre. La même racine se retrouve dans l’humilité. Cette vertu nous convie à reconnaître que la Terre n’est pas seulement notre environnement, mais notre origine, notre matrice et notre destin. Non seulement nous sommes partie intégrante du cosmos, mais en tant que produit de l’histoire de l’évolution, nous portons en nous tous les degrés d’existence ainsi que les trois règnes (minéral, végétal, animal) du monde naturel. Cela jusque dans les cellules de notre corps et les strates les plus profondes de notre psyché. Le récit symbolique de la Genèse ne dit rien d’autre : Dieu façonne l’être humain à partir de la glaise, le même jour que les animaux et en dernier, comme une forme de récapitulation de tout le créé. Il résulte de cette unité ontologique avec toute la création une profonde interdépendance et solidarité : physique, énergétique, psychique et spirituelle. Ultimement, tout ce que nous faisons à la nature, nous le faisons à nous-mêmes et inversement.

On fait souvent de la question écologique, un sujet politique. Dès lors, est-ce que ce thème a sa place dans la vie de l’Eglise ?
C’est une question politique, certes, mais pas seulement. C’est aussi et avant tout un enjeu sociétal, éthique et spirituel, qui va bien au-delà des clivages gauche-droite. La question de fond est : comment habiter notre « maison commune » qu’est la création d’une manière juste, c’est-à-dire tissée de justice, dans le respect des limites planétaires et de sorte à ce qu’elle soit encore habitable pour les générations futures ? Pour cela, il convient de lutter de manière urgente et radicale contre les déséquilibres climatiques, l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement des ressources naturelles. Les institutions, communautés et fidèles des Églises ont leur part à accomplir, en tant qu’acteurs de la société. Pensons au passage de la Genèse, fondement de l’écologie chrétienne, où Dieu place l’être humain dans le jardin pour « garder et cultiver le sol » (2, 15). Souvenons-nous également que, enfants du même Père créateur et de la même Terre-mère, toutes les créatures sont nos « frères » et « sœurs », ainsi que le proclame François d’Assise dans son célèbre Cantique des créatures. En tant que jardiniers de la création et membres de la grande fraternité du vivant, nous avons une responsabilité à assumer. L’écologie n’est pas une option pour les chrétiens, mais le cœur même de la foi. 

Quel pourrait être l’apport des Eglises au débat écologique actuel ? Et, à l’inverse, en quoi est-ce que la crise climatique peut être féconde pour la vie des Eglises ?
Tout nécessaire qu’elle soit, l’écologie extérieure et politique – faite de lois, de technologies vertes et d’écogestes au quotidien – ne suffit pas. Car elle reste de l’ordre du faire et ne va pas à la racine des problèmes, qui sont culturelles, psychologiques et spirituelles. Elle doit donc être complétée et verticalisée par une écologie intérieure, une écospiritualité susceptible d’ancrer les engagements – personnels et collectifs – dans la profondeur de l’être et de leur donner leur plénitude de sens. Nous sommes donc appelés, dans la conscience de notre finitude, à nous interroger sur le monde dans lequel nous désirons vivre, le sens ultime de notre existence, les valeurs qui nous animent et notre idéal d’accomplissement humain. Si ces dimensions fondamentales ne sont pas prises en compte, je crains que nous n’allions pas très loin. Et là, les Églises ont beaucoup à apporter. A condition cependant de s’ouvrir au dialogue et de collaborer avec les autres traditions de sagesse. 

Votre conférence va porter sur le thème du salut. Un thème cher à la tradition réformée qui en a fait une question personnelle et intime. Ne faudrait-il pas élargir le débat en affirmant que le salut de l’être humain a aussi un impact sur le salut du monde créé ?

Il convient de s’interroger sur la notion de salut. Ce dernier n’est pas qu’une histoire entre mon âme et Dieu, dont la création serait le décor. Il ne s’agit pas non plus seulement de gagner la vie éternelle en se sauvant du péché et du mal. Dans une perspective spirituelle, telle qu’elle s’exprime notamment dans le christianisme orthodoxe, le salut – soteria en grec, qui signifie aussi la santé – ne consiste pas à nous sauver de ce qui nous menace, mais à accomplir par la grâce, dans une synergie entre notre libre volonté et l’action de l’Esprit saint, ce que le Christ a manifesté dans sa vie et dans son être récapitulant toute la création : l’union et la réconciliation entre le cosmique, l’humain et le divin. Le salut n’est autre que la divinisation de la création, humaine et autre qu’humaine. Une finalité inscrite par le Verbe créateur dans chaque créature, qui sera réalisée en plénitude à la fin des temps – quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15,28) –, mais qui est déjà en cours, ici et maintenant. La vocation de l’être humain, façonné avec de la glaise et créé à l’image de Dieu, est d’être un pont entre la Terre et le Ciel, le matériel et le spirituel, le temporel et l’éternité. Un « être-frontière » (Grégoire de Nazianze, IVe s.) qui participe non à défiguration du monde, mais à sa transfiguration par la grâce de l’Esprit saint – dans la mesure où il s’y ouvre et la laisse vivre en lui.
 

En savoir plus sur Michel Maxime Egger

Après plus de vingt ans de travail de plaidoyer pour des relations Nord-Sud plus équitables, Michel Maxime Egger, sociologue et écothéologien d’enracinement orthodoxe, a rejoint en 2016 Pain pour le prochain avec pour mission de créer un Laboratoire de transition intérieure, dans l'interface entre la société civile et les milieux d'Eglise. Il codirige la collection « Fondations écologiques » aux éditions Labor et Fides et anime depuis 2004 le réseau Trilogies (www.trilogies.org).

Assistez à la conférence le mercredi 13 octobre à 20h au Temple d'Echallens.
Entrée libre, participation consciente aux frais, certificat Covid exigé.

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