"En temps de disette, partage ton essentiel !"

Lecture de Marc 12, 38-44 : Une veuve pauvre offre tout ce qu'elle possède

38Voici ce que Jésus enseignait : « Prenez garde aux spécialistes des Écritures qui aiment se promener en beaux vêtements et être salués sur les places publiques ; 39ils choisissent les sièges les plus en vue dans les synagogues et les places d'honneur dans les grands repas. 40Ils dévorent les biens des veuves et, pour l'apparence, ils font de longues prières. Ils seront jugés d'autant plus sévèrement ! »

41Jésus s'assit dans le temple en face de la salle du trésor, et il regardait comment les gens y déposaient de l'argent. De nombreux riches donnaient beaucoup d'argent. 42Une veuve pauvre arriva et mit deux petites pièces de monnaie. 43Jésus appela ses disciples et leur dit : « Je vous le déclare, c'est la vérité : cette veuve pauvre a mis dans le trésor plus que tous les autres. 44Car tous ont donné de leur superflu ; mais elle, qui manque de tout, a donné tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. »

Prédication : "En temps de disette, partage ton essentiel !"

Version audio ici: https://anchor.fm/emlklsne/episodes/En-temps-de-disette--partage-ton-essentiel-e1o3hiu

Résumé : En ce week-end du jeûne, l’Evangile vient nous questionner sur notre rapport au superflu et à l’essentiel. Au fond, il nous pose la question : quand sommes-nous dans l’ « être » et quand sommes-nous dans le « paraître » ? Comme un appel, dans ces temps de disette, à partager notre essentiel dans la confiance avec le coeur. »

 

Chers frères et sœurs en Christ,

Ce week-end, c’est le week-end du jeûne. Non pas le jeune…  sretraité de notre pays, le roi Rodgeur Ier, mais le jeûne, avec circonflexe, pour indiquer que traditionnellement nous sommes censés en ce jour manger… rien (bon ok, comme on n’est pas des extrémistes, c’est permis de manger de la tarte aux pruneaux). Et le circonflexe est d’importance, comme vous pouvez le lire à l’écran :

  • Je vais me faire un petit jeûne
  • ce n’est pas la même chose que :
  • Je vais me faire un petit jeune

Bon. Le jeûne fédéral, ça vient d’où ? Instituée dans notre confédération en 1796, cette fête tire son origine d'une pratique biblique très répandue au Moyen-Âge. Que ce soit pour cause de guerre, d’épidémie, de disette ou en action de grâce, des jeûnes étaient ordonnés. Il est intéressant de souligner qu’en périodes de disette, les autorités locales imposaient à tous les habitants des jours de privation de nourriture notamment pour économiser les denrées.

Tiens, un jeûne pour économiser en période de disette, c’est terriblement actuel, ça… Car nous aussi, à l’aube de cet hiver 2022, nous nous préparons à un temps de disette. Le jeûne de consommation que d’aucun vivent souvent pendant le temps de carême (notamment avec l’action DETOX la terre), aujourd’hui ce jeûne de consommation va s’étendre à l’ensemble de la population en raison de la crise mondiale de l’énergie. D’ailleurs combien de sites désormais donnent des « bons plans » pour économiser de l’énergie, avec en toile de fonds le spectre du black-out pour cet hiver. Y a pas à dire, vive les bougies réchaud.

Face à cette nouvelle crise, comment allons-nous réagir ? avec peur ou angoisse ? allons-nous compter nos sous et nous renfermer sur nous-mêmes en ne partageant plus rien avec d’autres, ou alors seulement le superflu ?

Au fond, tant la crise que le jeûne fédéral viennent nous questionner précisément sur ces notions d’essentiel et de superflu. Qu’est-ce qui est superflu dans ma vie et dont je pourrais me passer ? Quel est le cœur de ma vie, l’essentiel ? Pas si simple de les distinguer… Cette semaine, nous avons beaucoup discuté avec ma femme sur des choix à faire pour notre famille. Faut-il pour des raisons d’économie faire des choix de vie qui nous éloignent de notre essentiel ? Pas si simple.

Mais quel est-il, votre essentiel ?

  • Pour Christian Bobin, « L’essentiel c’est ce que l’on a tendance à négliger. » 
  • Le Dalai-Lama va dans le même sens en disant : « D’ordinaire, nous ne distinguons pas entre l’essentiel et l’accessoire. Nous passons notre vie à courir après des plaisirs qui se dérobent sans cesse et nous laissent insatisfaits.»
  • Pour Frédéric Lenoir, « le superflu est onéreux, mais l’essentiel est offert ».

Et pour moi, quel est-il cet essentiel ?

Le texte d’Evangile que nous avons entendu en ce jour nous parle justement de superflu et d’essentiel. Cette histoire, qui pourrait paraître presque caricaturale, nous invite surtout à réfléchir en profondeur sur l’être et le paraître dans nos vies, sur le superflu et l’essentiel que nous partageons… ou pas.

Regardons la scène. Jésus est là, il observe la foule qui défile devant les troncs dont l’offrande est destinée rappelons-le à permettre la vie d’autrui, que soit par le service du Temple ou par la redistribution aux plus démunis. Beaucoup de riches donnent beaucoup et, apparemment, cela se voit. Ils sont dans le paraître. L’ostentatoire. « Pour l’apparence » ils font de longues prières, dit le texte. Ils cherchent les places d’honneur, la reconnaissance. Ils sont centrés sur eux-mêmes, et profitent du système, donnant de leur superflu, mais se servant au passage dans le trésor par la suite. Au fond, ce don est comme vide de sens pour eux, comme mécanique.

Arrive ensuite une veuve, pauvre de surcroît. « Veuve pauvre », c’est comme un pléonasme pour l’époque, puisqu’alors, les veuves sont des précarisées, des pauvres, car elles n’ont personne pour les protéger. Et cette femme dans la précarité, elle met dans le tronc deux toutes petites pièces, l’équivalent d’une dizaine de minutes du salaire d’un ouvrier. Rien en somme, devant la grandeur du temple et de ses besoins. Une goutte d’eau dans l’océan.

« Elle, qui manque de tout, dit le texte, a donné tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. » C’est un don radical qui frise l’absurdité. Ce geste, il est excessif, fou, mais plein de cœur et d’amour. Saint Augustin a écrit : la mesure de l'amour, c'est d'aimer sans mesure. On ne pas peut aimer sans un grain de folie et il y a dans le geste de cette femme une dimension d'excès et d’authenticité totale. Au fond, c’est comme si elle donnait sa vie avec cette offrande. Cela nous rappelle toutes ces femmes et ces hommes qui ont donné leur vie pour leur foi. Cela nous rappelle bien sûr le Christ qui a donné sa vie pour nous sur la Croix… Ce geste de la veuve, c’est donc un abandon total en Dieu. Comme si elle savait que ce n’est qu’en donnant tout, que ce n’est que les mains vides, qu’elle pourrait recevoir…

La veuve est donc dans l’être, elle fait ce geste avec le cœur. Ce qui est important, au fond, nous dit ce texte, c’est la valeur que nous mettons dans nos gestes. C’est de faire les choses avec cœur. On peut aussi être « riche » et donner avec cœur, pourrait-on ajouter !

Et Jésus, que fait-il ? Il constate. Mais il ne commente pas plus. On entend chez lui ni hommage ou louange, ni blâmes ou lamentations. Et on ne sait pas s’il faut imiter la veuve ou considérer la folie de son geste. Il met simplement en avant ce renversement évangélique (du même type que « les derniers seront les premiers ») : alors que le don de la veuve paraît plus modeste, en réalité il est plus conséquent. Etre ou paraître, telle est la question.

Et moi ? Quand suis-je dans l’être et quand suis-je dans le paraître ? Quand suis-je comme ces scribes, à chercher égoïstement la reconnaissance et les places d’honneur, à donner sans y mettre de la valeur et du cœur ? Et quand est-ce que je vis cette radicalité de l’Evangile, du don excessif, fou, osant faire confiance même dans des situations de précarité ? Quand est-ce que j’arrive à partager mon essentiel, ce qui m’est le plus précieux, ou quand est-ce que je ne parviens au contraire à partager que mon superflu ?

Oui chers frères et sœurs, je le crois, ce temps de disette à venir est un temps favorable pour partager son essentiel ; vivre avec confiance, même dans une situation de précarité ; faire des gestes de solidarité avec cœur. Partage ton essentiel, voilà une invitation pour chacun de nous. Cela peut être aussi partager ce qui est précieux pour nous… (non pas le PQ, ça c’était lors du 1er confinement) le temps ? donner de mon temps, et pas seulement du superflu mais aussi de l’essentiel…

La bonne nouvelle de ce matin, chers frères et sœurs, c’est qu’on n’a pas besoin d’avoir beaucoup pour donner beaucoup ! Et dans un temps de disette, l’Evangile invite, au lieu de se renfermer sur soi, à s’ouvrir et à donner avec cœur et avec confiance ! Et c’est peut-être bien cela le sens profond du jeûne, comme le dit le prophète Esaïe :

Esaie 58, 6-7 : « Le jeûne tel que je l'aime, le voici, vous le savez bien : c'est libérer ceux qui sont injustement enchaînés, c'est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c'est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c'est supprimer tout ce qui les tient esclaves. C'est partager ton pain avec celui qui a faim, c'est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, c'est fournir un vêtement à celui qui n'en a pas, c'est ne pas te détourner de celui qui est ton frère. »

Le voilà donc, l’essentiel. Que nous Dieu aide à placer au cœur de nos vies ce jeûne qui ne sera… pas pour des prunes !

Amen

Vers le haut