"De la pierre à la terre, le pardon comme loi nouvelle de l’Evangile"

Lecture de Jean 8,1-11: Jésus et la femme adultère

1Et Jésus se rendit au mont des Oliviers. 2Tôt le matin, il retourna dans le temple et tous les gens s'approchèrent de lui. Il s'assit et se mit à les enseigner. 3Les spécialistes des Écritures et les pharisiens lui amènent alors une femme qu'on avait surprise en train de commettre un adultère. Ils la placent au milieu de tout le monde 4et interrogent Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. 5Moïse nous a ordonné dans la Loi de tuer de telles femmes à coups de pierres. Et toi, que dis-tu ? »6Ils lui posaient cette question pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l'accuser.

Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur le sol. 

7Comme ils continuaient à le questionner, Jésus se redressa et déclara : « Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. » 8Puis il se baissa de nouveau et se remit à écrire sur le sol. 

9Quand ils entendirent cela, ils partirent l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme, qui se tenait toujours au milieu. 10Alors il se redressa et lui demanda : « Eh bien, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ? » 11« Personne, Seigneur », répondit-elle. « Je ne te condamne pas non plus, dit Jésus. Tu peux t'en aller, mais désormais ne pèche plus. »

Prédication : "De la pierre à la terre, le pardon comme loi nouvelle de l’Evangile"

Résumé : Par son abaissement, Jésus écrit dans la terre de nos êtres une loi nouvelle, celle du pardon, en vue d’une vie nouvelle.

Version audio ici: https://anchor.fm/emlklsne/episodes/De-la-pierre--la-terre--le-pardon-comme-loi-nouvelle-de-lEvangile-e1gls24

 

Chers frères et sœurs en Christ,

Les pierres, elles servent à quoi ? De quoi sont-elles le symbole ?

D’abord je pense évidemment aux pierres… de construction, signe de stabilité. Les travaux actuels du Grand-Pont nous dévoilent les pierres ancestrales utilisées pour relier des quartiers de la ville. Des pierres solides. Des pierres manentes qu’avait déjà connues même mon grand-pierre. C’est d’ailleurs une image reprise par la Bible aussi : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirais mon Eglise ». Pierre le disciple et son jumeau Pierre carré, le disciple mathématicien, et son cousin Pierre qui roule (et qui n’amasse pas mousse). Bref, ces jeux de mots du pasteur, c’est de pi(er)re en pi(er)re. Mais svp, ne me jetez pas la pierre, laissez-moi juste apporter ma pierre en vue de l’édification de notre communauté pour la durée. Car la pierre, c’est aussi le signe de durabilité, des bâtiments, mais aussi par exemple des tables de la Loi de Moise inscrites sur la pierre pour durer (encore fallait-il cocher la case « accepter les conditions d’utilisation en griffonnant avec un petit caillou »).

Après, il y en a aussi qui s’amusent à les lancer, les pierres, le plus loin possible, que ce soit de petites pierres plates dans le lac ou de très grosses pierres, comme celle d’Unspunnen.

D’autres aujourd’hui encore, notamment dans certains pays islamistes, lancent des pierres pour tuer, pour punir. Et là, cela ne nous fait plus rire. La pierre, symbole du péché qui traverse les humains.

Oui pour moi, la pierre c’est aussi le symbole de ce qui est lourd dans nos vies, et chacun peut y mettre quelque chose. La pierre, c’est le symbole du péché que nous portons avec nous, dans notre sac à dos, quand nous ratons la cible de notre vie, quand nous passons à côté de ce que pourquoi nous sommes faits : vivre dans la lumière, la joie, la paix, en communion avec Dieu. La pierre, c’est le symbole de la colère, de la rancœur, de la moquerie, du jugement des autres.

Dans l’histoire bien connue de la femme adultère, la pierre est un symbole de menace de mort, non seulement pour cette femme accusée d’adultère, mais surtout pour le Christ. Les scribes et les pharisiens cherchent en effet à lui tendre un piège et ils s’acharnent sur cette femme dont on ne sait rien et qui est amenée seule devant Jésus, alors que selon la loi, les deux coupables doivent être mis à mort (Lv 20,10). Au fond, les scribes n’en ont rien à faire de la femme qui n’est qu’un objet pour mettre Jésus en difficulté. Car la pointe de l’histoire, ce que l’on attend impatiemment de voir, c’est la réaction du Christ.

La réaction de Jésus est surprenante à plus d’un titre. Mais c’est surtout sa posture qui est importante, une posture d’enseignant, assis comme le voulait la tradition à l’époque. Car ce que va faire Jésus, c’est bien montrer concrètement un enseignement.

Et que fait concrètement Jésus l’enseignant ? Il s’abaisse. C’est d’ailleurs le mouvement général du texte : d’abord vers le bas puis vers le haut. En effet, si l’on regarde le grec, il y a deux particules qui sont très présentes dans ce passage : le préfixe kata qui signifie en bas, vers le bas, et le préfixe ana qui à l’inverse signifie en haut, vers le haut. Du verset 2 au verset 6, le mouvement est du haut vers le bas (kata) : Jésus s’assied (8,2), la femme a été prise en flagrant délit (katalambano 8,4), est accusée (kategoreo 8,6), Jésus se courbant vers le bas, ce pléonasme présent deux fois au verset 6 et 8. Puis le mouvement est vers le haut (ana) : Jésus se relève (anakupsas 8,7), sans péché (anamarteros 8,7), Jésus se relève encore (anakupsas 8,10).

Ainsi le mouvement du texte est le suivant: par deux fois, Jésus s’abaisse, se faisant proche de la femme dont la péché l’a faite tomber vers le bas ; puis il la relève, par le pardon, vers le haut, vers la vie.

Au lieu de répondre à l’attaque des Pharisiens, le Christ se baisse, et il se met à tracer du doigtdes traits sur le sol. Geste énigmatique, peut-être pour ne pas se laisser embarquer dans un conflit qui conduirait forcément à la violence. Cet acte d’« écrire avec le doigt » est très rare dans la Bible: outre celui du passage qui nous intéresse, il n’apparaît quasiment que dans le cas des tables de pierre, confiées à Moïse sur le mont Sinaï, « écrites par le doigt de Dieu ». Intéressant. Comme si, à la manière de Moïse qui écrit la Loi sur des tables de pierre, Jésus traçait une nouvelle loi, écrite non plus sur la pierre, mais dans la terre, cette terre de sable de l’époque, symbole de l’humus du cœur des humains. Une loi fragile, malléable, remodelable, mais aussi incertaine, un peu à l’image des artistes de rues ou des enfants qui créent avec des craies de l’éphémère, ou des moins tibétains avec les mandalas de sable. Une loi fragile dont les mots ne sont pas écrits dans la pierre, car ces mots, c’est à nous de les trouver ! C’est pour cela que le texte ne précise pas ce que Jésus a écrit sur le sable. Car c’est à nous de les trouver, ces mots de la nouvelle Loi du Christ, celle du pardon et de l’amour. Celle de l’humilité et de l’acceptation de la vulnérabilité.

De la pierre à la terre, c’est donc bien cela, la nouvelle Loi du Christ : accepter la vulnérabilité, l’incertitude, la fragilité de nos projets humains qui sont toujours à recréer. Est-ce que j’ose lâcher les mots écrits dans la pierre pour écrire les mots nouveaux dans la terre pour permettre un temps nouveau ? Est-ce que j’ose aimer au-delà de tout jugement, est-ce que j’ose me regarder honnêtement au plus près de ma conscience ? « Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre » :  cela résonne comme un appel à l’introspection et à l’accueil de sa propre vulnérabilité.

Car c’est bien cela, la bonne nouvelle de ce texte, chers frères et sœurs : Par son abaissement, le Christ nous montre le chemin, celui de l’accueil et du pardon. S’abaisser, c’est lâcher. Lâcher la pierre de la colère, de la haine, de la rancœur, comme les scribes et les pharisiens l’ont fait, même si cela nous coûte tellement. Pardonner, c’est laisser le pouvoir à l’autre. C’est lui redonner le pouvoir pour la vie, en vue d’une vie nouvelle. Car cet abaissement ouvre à une vie nouvelle, comme à la fin de ce récit où la femme, enfin, retrouve son humanité. Elle se relève, comme ressuscitée, comme une annonce anticipée de la Bonne Nouvelle de Pâques, et de la pierre… roulée !

Oui à Pâques, la pierre va être roulée, un autre symbole fort de cette vie nouvelle offerte par le Christ. Ainsi, par son abaissement, Jésus écrit dans la terre de nos êtres une loi nouvelle, celle du pardon, qui nous ouvre sur une vie nouvelle. 

Alors cette semaine, je nous invite, vraiment, à lâcher ces pierres de colère, de rancœur, et oser laisser la terre de nos cœurs être remodelée par le pardon. Lâcher la pierre du jugement, et oser accueillir la personne dans tout ce qu’elle est, aimée par Dieu. Lâcher la pierre de la toute-puissance et de l’orgueil, et oser l’abaissement et l’humilité, en rejoignant celles et ceux qui sont à terre. Oser le pardon et la réconciliation, oser l’accueil sans jugement, oser l’humilité, voilà un beau programme pour notre Eglise MLK Lausanne, un programme… à graver dans la pierre !

Amen.

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