Vos lieux de culte

« Voici mon Serviteur, celui que je tiens par la main ;

mon élu, en qui mon âme prend plaisir.

J’ai mis mon Esprit sur lui ;

il fera régner la justice parmi les nations.

Il ne criera pas ;

il n’élèvera pas la voix et ne la fera pas entendre dans les rues.

Il ne brisera pas le roseau froissé,

et il n’étouffera pas le lumignon qui va s’éteindre.

Il fera régner la justice en toute vérité.

Il n’aura ni défaillance ni découragement

jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre ;

et les îles mettront leur confiance en sa loi. »

(Ésaïe 42, 1-4)

 

« Il ne brisera pas le roseau froissé,

et il n’étouffera pas le lumignon qui va s’éteindre. »

 

Frères et sœurs,

 

la nouvelle année

est le temps des bonnes résolutions.

On va tourner la page

sur nos mauvaises habitudes.

Fini la cigarette.

On va chausser les baskets

pour faire du jogging.

Internet, ce sera juste pour le travail.

Et les soirées, ce sera avec un livre,

ou un jeu de société,

plutôt que d’être vautré

devant la télévision.

 

Un grand coup de balai

pour débuter la nouvelle année,

et commencer ainsi une nouvelle vie.

 

Les révolutions sont énergiques.

Les communistes chantaient :

« Du passé faisons table rase ».

Le vieux monde jeté aux poubelles de l’histoire.

On recommence à zéro.

 

Nous avons tous vécu

cette ivresse lors d’un déménagement.

Au début, on garde tout.

Même des bouts de papier

sur lesquels sont griffonnés quelques mots

que l’on n’arrive pas à relire.

Qui sait ? Cela pourrait servir.

Puis on commence à jeter

quelques objets inutiles :

cette tasse ébréchée,

cette petite table dont un pied se défait.

Et à la fin, il faut se surveiller

pour ne pas se débarrasser

de choses en parfait état

que l’on utilise presque chaque jour.

« Tout ce qui n’est pas absolument indispensable,

c’est du balai !

Il ne faut pas se laisser envahir par les choses ! »

 

« Il ne brisera pas le roseau froissé,

et il n’étouffera pas le lumignon qui va s’éteindre. »

 

Un roseau froissé ne retrouvera jamais

cette rigidité qui fait d’un roseau un roseau.

Un lumignon qui va s’éteindre n’éclaire plus bien.

Il faut en allumer un autre.

À quoi bon en laisser brûler deux ?

 

Ésaïe nous dit que le Messie

a des égards pour ces choses

qui ne remplissent plus leur mission.

 

On s’attendrait à ce qu’il fasse le ménage.

Et qu’il se débarrasse de tout ce qui

ne sert plus à rien.

Mais non.

Il est attentif.

Précautionneux.

Plein d’égards.

Même pour des objets cassés

dont on ne peut plus rien faire.

 

Nous vivons dans un monde brutal,

où l’on est vite qualifié d’obsolète.

Si vous n’êtes pas à même d’utiliser

les outils informatiques,

on vous fera comprendre

que vous n’avez plus vraiment votre place ici.

On ne va quand même pas

s’encombrer de poids morts

qui ralentissent tout le monde.

 

Darwin l’a bien dit :

s’adapter ou disparaître.

Les dinosaures n’ont pas su s’adapter.

Et c’est pourquoi ils ont disparu.

La place des fossiles,

c’est dans les musées.

 

Même l’Église est sous le charme

d’un tel dynamisme.

Et l’on reprend sans réfléchir

les méthodes de management

des grandes entreprises.

Avec aussi cet engouement

pour le monde numérique.

Et bien sûr,

si vous n’êtes pas enthousiastes,

c’est que vous n’avez rien compris.

On peut vous expliquer.

 

« Il ne brisera pas le roseau froissé,

et il n’étouffera pas le lumignon qui va s’éteindre. »

 

Le portrait du Christ

que nous livre le prophète Ésaïe

est très poétique.

Et il n’est peut-être pas inutile

de le rendre plus prosaïque.

Car, bien sûr, il n’est pas question d’horticulture.

 

Le roseau froissé,

c’est cette personne lente

qui demande quatre fois les explications

au vendeur.

Qu’est-ce que c’est agaçant

quand on est juste derrière

et que l’on n’a pas de temps à revendre !

 

Le lumignon qui fume,

on peut le voir

comme cette jeune famille aux nerfs fragiles

qui habite juste au-dessus de chez vous,

avec les enfants qui pleurent,

même au milieu de la nuit,

et les parents qui crient plus souvent qu’à leur tour.

« Quand on ne sait pas s’occuper de ses enfants,

on n’en fait pas. »

 

Le problème n’est pas

que l’on ait un mouvement d’humeur.

C’est tout à fait naturel.

Seulement, souvent,

on pose en même temps un jugement irrévocable :

« Des gens comme vous,

cela n’a rien à faire ici ! »

 

Un jugement que l’on connaît bien,

puisque d’autres l’ont posé sur nous.

Les vendeurs de téléphones portables

et de matériel informatique

savent très bien vous faire

comprendre que vous n’êtes pas

à la page.

 

Le Christ connaît nos défauts.

Il les voit très nettement.

Mais il ne vient pas

pour mettre à la poubelle

ces outils insuffisants

que nous sommes.

 

Non, il s’approche pour nous recueillir

avec une prévenance infinie.

Comme ces jouets cassés

que l’on ne jettera jamais,

tellement ils ont de prix à nos yeux.

 

L’Église est le lieu de cette prévenance du Christ.

Tous les cabossés de la vie devraient s’y sentir

à leur place.

À la maison.

 

C’est cela, la révolution

que le Christ apporte dans ce monde.

Non pas des discours enflammés,

avec de grandes envolées lyriques.

Non pas une volonté de fer

qui va de l’avant coûte que coûte.

Mais une attention à chacun,

même s’il pense ne pas la mériter,

même s’il n’a rien à faire valoir

pour la mériter.

 

La communication de notre Église

utilise beaucoup des images

de banques de données.

Ce sont à peu de choses près

les mêmes photos que vous retrouvez

dans les publicités pour les comptes-épargnes

ou les assurances-vie.

Des gens avec un sourire énergique

sous la lumière d’un soleil d’été.

 

Sur ces clichés retravaillés,

vous ne voyez jamais

quelqu’un de fatigué

ou simplement de perplexe.

Vous ne voyez jamais

quelqu’un de triste,

ou avec un voile dans le regard.

Ces images parlent

d’un monde où il n’y a pas de roseaux froissés,

ni de lumignons qui vont s’éteindre.

 

Et puisqu’ils n’y ont pas leur place,

je ne suis pas sûr que le Christ y ait la sienne

puisque lui ne brise pas le roseau froissé,

ni n’étouffe le lumignon qui va s’éteindre.

 

On ne s’en rend pas toujours compte,

mais la dureté, ça en jette !

L’enthousiasme de la jeunesse

qui veut se débarrasser de tout ce qui est encroûté,

c’est galvanisant.

D’ailleurs, on trouve toujours quelques retraités

pour applaudir cette radicalité,

sans se rendre compte qu’ils font partie

de ce vieux monde qui doit disparaître.

 

Le salut de Dieu, c’est la douceur.

Ne pas étouffer l’autre avec des mots d’ordre,

des théories,

des slogans.

Mais un regard attentif.

Une main qui caresse.

Un cœur à l’écoute et présent.

 

Le Christ,

non pas comme un meneur,

mais comme un ami.

L’ami même de ceux

que personne ne veut comme amis.

 

Cet ami avec qui on peut rester des heures

sans rien se dire.

Parce que l’essentiel est au-delà des mots.

L’essentiel, c’est une proximité.

Une fidélité.

 

Le monde nouveau,

le Royaume de Dieu,

ce n’est pas un monde

débarrassé de tout

ce qui ne sert à rien.

C’est un monde où

ce qui croit ne servir à rien

se découvre aimé,

à sa place.

 

Le Fils de Dieu,

c’est celui qui nous rejoint

dans les eaux du baptême

pour ne plus nous lâcher.

 

C’est cela, la vraie révolution.

La vraie nouveauté

dont ce monde a besoin.

Ici, maintenant.

 

Amen