Vos lieux de culte

Quelle femme,

si elle a dix drachmes et qu'elle perde une drachme,

n'allume une lampe, ne balaie la maison

et ne cherche avec soin, jusqu'à ce qu'elle la trouve ?

Lorsqu'elle l'a trouvée,

elle appelle chez elle ses amies et ses voisines et dit :

"Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue."

De même, je vous le dis,

il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent.

(Évangile selon Luc 15, 8-10)

 

Frères et sœurs,

je vous l’avoue : j’ai triché.

 

L’Évangile de ce jour n’est pas juste la parabole

que nous avons entendue.

C’est tout le chapitre 15 de Luc,

avec aussi la parabole de la brebis perdue,

et celle du fils prodigue et de son frère aîné.

 

Entre ces deux histoires

la parabole de la drachme perdue

fait figure de parent pauvre.

D’ailleurs elle ne se trouve presque jamais

dans les livres de récits bibliques pour enfants,

alors que la brebis perdue et le fils prodigue

y sont presque toujours.

 

Je remarque aussi

que je n’ai jamais prêché

sur cette histoire.

Je ne l’ai jamais utilisée

au catéchisme

ou au culte de l’enfance.

Alors que,

des prédications sur la brebis perdue,

j’en ai toute une série.

 

Quant au Fils prodigue,

c’est quasiment un passage obligé,

tant pour les cultes

que pour les activités avec les enfants et les jeunes.

Et cela, chaque année.

 

Pourtant,

la parabole de la drachme

a traversé les siècles

et même les millénaires

jusqu’à nous.

Des milliers de copistes

l’ont placée là,

entre la brebis perdue

et le Fils prodigue.

Sans se dire qu’elle faisait double usage,

ou bien qu’elle n’apportait rien d’intéressant.

 

Alors il vaut la peine

de se pencher sur cette histoire

que nous raconte Jésus.

Et s’efforcer de voir

en quoi son message

ne se recoupe pas

avec celui des deux autres paraboles.

 

Au centre de l’histoire,

il y a une drachme,

c’est-à-dire une pièce de monnaie.

Quelque chose d’inerte.

Alors que la brebis est vivante,

et que le Fils prodigue est

la chair même de son père.

 

Cela semble évident :

un être vivant,

c’est tellement plus

qu’un objet sans âme !

Et un être humain,

c’est encore mieux.

C’est même un absolu.

 

Seulement,

nous connaissons tous des familles

où les relations entre parents et enfants

sont compliquées.

Peut-être sommes-nous même pris

dans quelque chose de cet ordre.

La famille, c’est quelque chose de merveilleux,

mais c’est aussi quelque chose d’insupportable.

La littérature mondiale est là qui en témoigne.

 

Quant aux animaux, aux êtres vivants,

on s’y attache bien sûr :

combien de gens ont des coups de cœur.

Mais passé le premier enthousiasme,

on s’aperçoit qu’un animal,

c’est aussi un poids qui nous entrave,

qui nous encombre.

Alors les abandons ne sont pas rares.

Pour pouvoir quand même partir en vacances.

Ou juste parce que l’on n’a pas envie de faire un effort.

 

La drachme, elle, n’a pas cette richesse,

et aussi ces ambigüités.

Avec elle, c’est simple.

Pas le moindre problème.

La place qu’elle occupe dans la maison

est insignifiante.

Et en plus elle n’en bouge pas.

Elle ne prend pas non plus d’initiative

qui pourrait nous contrarier.

Elle est à disposition,

et, avec elle, on peut acheter des choses.

 

La drachme est limpide, transparente :

elle vaut quelque chose,

et c’est tout.

Et tout le monde est d’accord sur la question.

C’est une réalité objective,

incontestable.

 

Bien sûr, l’image de la drachme

peut sembler pauvre et impersonnelle.

Entre la femme et cette pièce de monnaie,

il n’y a pas de relation vivante.

Seulement, on le sait, les relations vivantes,

cela passe par des hauts et des bas.

La pièce de monnaie, elle,

reste toujours la même à nos yeux.

 

L’interprétation n’a rien de compliqué :

la drachme, c’est nous,

chacun d’entre nous.

Quoi que nous fassions,

nous avons une valeur claire et immuable

aux yeux de Dieu.

 

Pour reprendre l’histoire racontée par Jésus,

la drachme qui a roulé sous la table

vaut exactement la même chose

que celles qui sont restées sagement dans la bourse.

 

Que vous ayez tout raté dans votre vie,

vous n’en avez pas moins de valeur

aux yeux de Dieu

que si vous aviez tout réussi.

 

Quand on y pense,

cela va loin,

cette leçon de la drachme !

 

 

Mais ce n’est pas le seul enseignement

que l’on peut tirer de cette parabole.

Et, chose étonnante,

c’est justement ce deuxième enseignement

qui nous la fait dédaigner.

 

Il faut le reconnaître :

une femme qui balaie sa maison,

c’est quand même un peu plat comme drame !

Le berger qui part à la recherche de sa brebis,

c’est prenant :

il y a des obstacles, des dangers,

des ronces, des éboulis, des précipices,

sans parler du loup ou des ours.

Et le père du Fils prodigue, lui,

c’est à peine s’il peut imaginer

les pays lointains

où son fils est parti à l’aventure,

et où il mène une vie

qui n’a rien à voir

avec celle qu’il avait à la ferme.

 

Oui, ces histoires-là,

elles sont colorées.

Il y a des contrastes,

du suspense.

 

La parabole de la drachme, elle,

elle semble sans grand enjeu.

On sait comment elle va se terminer.

La femme va retrouver la drachme.

Et si ce n’est pas le jour même,

ce sera le lendemain.

 

Si au moins elle l’avait perdue

en allant au marché,

là il y aurait eu une petite tension :

il aurait fallu refaire le chemin,

fouiller dans les herbes,

en espérant

que personne ne l’aura vue et ramassée.

 

Mais là, rien de tout ça !

Une scène purement domestique.

La drachme est tombée dans un cadre bien balisé.

Pas le moindre risque qu’elle soit vraiment perdue.

 

Et c’est là le deuxième message de cette parabole.

Où que l’on se perde,

on reste dans le rayon d’action de Dieu.

Et même plus, on est toujours dans Sa maison.

 

La brebis perdue

ne sait pas

si c’est le berger

ou le loup

qui la trouvera

le premier.

 

Le fils prodigue,

qui crève de faim

en gardant les cochons,

sait bien qu’à ce moment

personne ne peut rien pour lui,

et que, même si son père voulait le secourir

- ce qui est loin d’être sûr pour le fils - ,

et bien il ne le pourrait tout simplement pas.

Parce qu’il ne sait pas où son fils se trouve

et qu’une enquête prendrait des mois,

peut-être des années,

sans que le résultat ne soit garanti.

 

Oui, ces deux paraboles sont dramatiques.

Et c’est pourquoi elles sont gratifiantes pour les conteurs.

 

Mais le suspense de l’histoire

peut nous induire en erreur,

et nous amener à vivre notre foi

dans une inquiétude malsaine

et qui n’a pas lieu d’être.

Cette impression

que le problème est presque trop grand

pour Dieu,

et que c’est juste un heureux hasard

si l’histoire se termine bien.

Il aurait suffi que le loup soit plus rapide,

ou que le Fils n’ait pas assez de force

pour arriver jusqu’à la maison,

et tout aurait été bien différent !

 

C’est un regard beaucoup plus paisible

que Jésus propose

avec la parabole de la drachme.

Pour nous retrouver,

Dieu n’a pas besoin de mobiliser toutes ses forces,

juste un petit coup de balai

et nous nous retrouvons dans sa main.

 

Alors pas vraiment une histoire.

Juste une vignette.

Et pourtant, quelle belle sérénité

dans cette parabole si souvent négligée !

 

Amen

 

Pasteur Jean-Nicolas Fell