Ayant remarqué que les conviés choisissaient les premières places, il leur disait aussi cette parabole:
"Lorsqu'on t'invitera à des noces, ne te mets pas à la première place,
de peur qu'il ne se trouve parmi les conviés une personne plus considérable que toi,
et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire: “Cède la place à celui-ci.!”
— et qu'alors, tu n'aies la honte d'être mis à la dernière place.
Mais quand tu seras invité, va te mettre à la dernière place,
et lorsque celui qui t'a invité viendra, il te dira: “Mon ami, monte plus haut!”
Alors, cela sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à table avec toi.
Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé."
Il disait aussi à celui qui l'avait invité:
"Quand tu donnes un dîner ou un souper, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches,
de peur qu'ils ne t'invitent à leur tour, et ne te rendent la pareille.
Mais quand tu fais un festin, convie des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles.
Tu seras heureux, parce qu'ils ne peuvent pas te le rendre; et cela te sera rendu à la résurrection des justes."
Évangile selon Luc 14, 7-14
« Ne te mets pas à la première place […]
va te mettre à la dernière place […]
N’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches […]
convie des pauvres, des estropiés, des boiteux et des aveugles […] »
Frères et sœurs, comment comprendre ces paroles ?
Le protestant scrupuleux y verra facilement
des injonctions contraignantes
qu’il faudrait appliquer au pied de la lettre.
Ne surtout jamais se mettre en avant,
mais attendre que les autres fassent votre éloge à votre place.
En s’agaçant quand ils n’assument pas cette responsabilité
comme il le faut.
Briller, mais par sa discrétion.
Impressionner, mais par sa modestie.
Tout un état d’esprit qui peut sembler, si ce n’est tordu,
du moins compliqué.
« Ne te mets pas à la première place […]
va te mettre à la dernière place […] »
Jésus qui remplace un objectif par un autre.
Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ?
Chercher la dernière place avec la même opiniâtreté
que d’autres mettent à chercher la première ?
Personnellement,
je crois à un Jésus, non pas grave et tragique
mais au contraire plein d’humour.
Ainsi, dans ces paroles,
il ne remplace pas un sérieux par un autre :
chercher la dernière place au lieu de la première ;
inviter les malheureux au lieu des proches et des notables.
Il me semble que Jésus nous invite plutôt à relativiser tout cela.
Non pas chercher la dernière place,
mais ne pas accorder d’importance à celle où l’on se trouve.
Non pas à tout prix inviter à perte, en faisant une grande B.A.,
mais écarter cette question, écarter les calculs,
et passer un bon moment avec les gens qui sont là,
quels qu’ils soient.
Jésus ne remplace pas la morale petite bourgeoise
par une morale anti-bourgeoise tout aussi rigide et formelle.
Il nous invite à dépasser cela.
À vivre avec plus de légèreté.
Les classements ne sont pas importants.
Il n’y a pas de première place ou de place d’honneur à viser,
que cela soit en allant la conquérir directement,
ou au contraire en feignant de la dédaigner
pour la recevoir ensuite comme récompense.
L’important, ce n’est pas d’être en haut ou en bas.
L’important, c’est d’être vraiment présent là où l’on se trouve.
Il est si facile de se crisper sur un objectif, et de perdre pied.
De perdre contact avec la réalité.
Accueillir ce qui nous est donné, c’est tout un art.
Ces gens qui nous entourent.
Cette place que nous occupons.
Parfois aussi cette voix qui nous invite à aller voir ailleurs.
Tout ce qui déborde ces grands projets
dont nos têtes sont pleines.
« Quiconque s’élève sera abaissé,
et quiconque s’abaisse sera élevé. »
Quand on est tout en haut,
le seul chemin possible, c’est vers le bas.
Bien des personnes qui ont connu l’ivresse des sommets
ne se sont pas remises de devoir redescendre
et se satisfaire d’une vie plus banale.
Par contre, quand on est tout en bas, au fond du trou,
même si l’on ne s’en rend pas compte sur le moment,
le seul mouvement possible, c’est vers le haut.
Peut-être Jésus ne dit-il rien de plus que cela.
Certains imaginent des gratifications dans l’autre monde
pour avoir serré les dents ici-bas,
en s’imposant une vie peu plaisante,
mais moralement à la hauteur.
Quelques décennies de privations,
pour jouir l’éternité durant d’une béatitude parfaite.
Ce monde-ci comme une salle d’examen
où l’on planche sur sa copie.
Et l’éternité comme la proclamation des résultats
avec ensuite la remise des prix.
Jésus n’apporterait en fait qu’un barème différent.
Au début de mon séjour en République tchèque,
j’étais surpris d’entendre des gens très fiers
de n’avoir eu que des uns à l’école.
Jusqu’à ce que je comprenne
que ce n’était qu’une question de notation.
Alors, être un bon élève, un bon croyant, un bon citoyen,
comme but ultime ?
Les paroles de Jésus semblent entrer dans ce cadre.
Mais, vous le savez, les apparences sont parfois trompeuses.
En réalité, Jésus se moque gentiment de la course aux honneurs
qu’il y a dans la société des hommes.
Et il le fait en invitant les gens à être encore plus malins,
encore plus calculateurs qu’ils ne le sont.
« N’oubliez pas qu’il y a encore Dieu dans le jeu.
C’est Lui que vous devez mettre dans votre poche.
C’est Lui que vous devez impressionner
par votre désintéressement.
Et vous y gagnerez gros ! »
Le simple bon sens nous montre que Jésus force le trait.
Si on va à un mariage,
ce n’est pour se mettre en avant et attirer les regards.
C’est pour se réjouir avec les mariés.
De même, si l’on organise une fête,
ce n’est pour s’attacher des faveurs,
mais pour partager cette joie que l’on ressent.
Inviter des malheureux, non pas par amour pour eux,
mais pour en tirer profit !
Il faut être bien tordu pour imaginer Jésus
nous inviter à cela.
Dans la lettre aux Hébreux, l’apôtre dit :
« Ce n’est pas d’une montagne de ce monde matériel
que vous vous êtes approchés […]
Vous vous êtes approchés de Dieu […],
des esprits des justes parvenus à la perfection,
de Jésus enfin, le médiateur de la nouvelle alliance,
et du sang qu’il a versé,
de ce sang qui parle mieux que celui d’Abel. »
Nous prenons souvent les choses par le mauvais bout.
Ce ne sont pas les paroles de Jésus
qui nous aident à nous approcher de Dieu.
C’est au contraire la proximité avec Dieu,
une proximité vécue, ressentie,
qui nous permet de comprendre les paroles de Jésus.
Oui, sentir cet amour de Dieu qui ne fait pas de classement.
Sentir cet amour de Dieu qui nous est donné dès le départ.
Sans préalable, sans condition,
Cet amour
qui n’est pas une récompense que l’on ne pourrait qu’espérer,
mais au contraire une base sur laquelle on peut s’appuyer,
un fondement sur lequel on peut bâtir dès maintenant.
Oui, Jésus se moque gentiment de nos ambitions, de nos calculs.
Non pas un regard dur et méprisant
qui exigerait un changement radical, sinon gare !
Plutôt un sourire plein de sympathie qui taquine
pour qu’à notre tour nous sachions sourire de nos défauts :
cette soif de reconnaissance, d’honneurs, de médailles
que l’on retrouve même dans l’Église ;
cette quête d’un profit qui marque même les moments
où l’on parle de gratuité.
S’imaginer libéré de cela, c’est s’imaginer plus beau que l’on est.
Non plus des humains, mais des surhommes.
Jésus nous demande juste d’ouvrir les yeux.
Mais le faire avec indulgence.
Rire de notre bêtise.
Et renforcer ainsi notre tendresse et notre bienveillance.
Pour nous. Et aussi pour les autres.
Être ainsi parfaits, non pas de cette rigidité
que nous associons trop souvent avec le ciel.
Non, être parfaits, comme Dieu l’est,
par l’amour pour tous :
les grands et les petits, les proches et les lointains.
Amen
Nous prions :
Tu es béni, Éternel notre Dieu, roi de l’univers
Toi qui Te donnes sans rien demander en retour,
et qui nous entraînes ainsi dans un tourbillon de générosité et de vie.
Nous T’en prions :
apprends-nous à vivre sans calculs ;
à laisser de côté nos projections, nos programmes,
pour vivre simplement le moment donné avec ceux qui sont sur notre route.
Apprends-nous, Seigneur, à retrouver la simplicité de l’enfant
qui ne connaît ni stratégie, ni objectif, ni même la peur de perdre,
et qui se jette tête baissée dans la merveille de l’instant présent.
Il est si facile de se laisser paralyser par les inquiétudes et les plannings,
de refuser la réalité parce qu’elle ne correspond pas à nos envies,
à nos convictions, à nos projets.
Que Ton Esprit nous guide, Seigneur :
comme une impulsion, comme une intuition,
comme un grain de folie.
Que Ton Église n’ait pas peur d’être déraisonnable
pour Te suivre là où Toi Tu nous entraînes,
pour Te découvrir là où Toi Tu Te trouves vraiment.
Nous Te prions, Seigneur, pour ce monde
où les intérêts entrent toujours plus en conflit,
et où l’on a toujours plus de peine à s’écouter les uns les autres,
à se respecter les uns les autres.
Aide-nous, Seigneur, à trouver des chemins de paix et de justice:
faire des concessions,
accepter de rogner sur nos ambitions pour faire de la place aux autres.
Dans cet esprit, Seigneur, nous Te confions
tous ceux qui n’ont plus rien à quoi se raccrocher
et sont obligés de faire confiance.
Qu’ils trouvent Ta douceur et Ta paix au bout de leur chemin.
Que nos actes et nos paroles leur permettent de voir en nous
non pas des concurrents ou des ennemis,
mais bien des prochains, des frères et des sœurs,
les reflets de Ta sollicitude et de Ta bonté.
Tout cela, nous Te le demandons par Ton Fils Jésus-Christ, notre Sauveur,
et c’est en Son nom que nous Te disons tous ensemble :
« Notre Père… »
Amen