Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées.
Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles.
Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes.
J'ai désiré m'asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon palais.
Il m'a fait entrer dans son cellier, et la bannière qu'il lève sur moi, c'est l'amour.
Soutenez-moi avec des gâteaux de raisin, fortifiez-moi avec des pommes, car je suis malade d'amour.
Que sa main gauche soutienne ma tête, et que sa droite me tienne embrassée.
Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs,
n'éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu'elle le veuille.
La voix de mon bien-aimé ! Voici qu'il vient, bondissant sur les montagnes, sautant sur les collines.
Mon bien-aimé est semblable à la gazelle, ou au faon des biches.
Le voici, il est derrière notre mur, regardant par la fenêtre, épiant par le treillis.
Mon bien-aimé a pris la parole, il m'a dit :
" Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! Car voici que l'hiver est fini ; la pluie a cessé, elle a disparu.
Les fleurs ont paru sur la terre, le temps des chants est arrivé ;
la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans nos campagnes ;
le figuier pousse ses fruits naissants, la vigne en fleur donne son parfum.
Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !
Ma colombe, qui te tiens dans la fente du rocher, dans l'abri des parois escarpées.
montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix ;
car ta voix est douce, et ton visage charmant.
Cantique des cantiques 2, 1-14
« Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! … […]
Laisse-moi contempler ton visage. Fais-moi entendre ta voix.
Ô toi dont la voix est si douce et le visage si gracieux ! … »
Frères et sœurs,
de nombreux mystiques ont vu dans cet échange
le dialogue de Dieu ou du Christ avec l’âme du croyant.
Dieu, le Christ, qui porte un regard amoureux sur nous.
Notre voix incroyablement douce à ses oreilles.
Notre visage merveilleusement gracieux à ses yeux.
Ce n’est pas le langage auquel nous avons été habitués.
Nous imaginons Dieu focalisé sur nos erreurs, nos défauts.
Se donnant beaucoup de peine pour en atténuer les effets,
et nous aider à les dépasser.
Un médecin proposant des traitements rarement agréables.
Un coach nous demandant
de serrer les dents tout ce que nous pouvons
pour mobiliser nos forces.
Ne surtout pas rester comme on est.
Parce que c’est une catastrophe !
Nous sommes pécheurs. Égoïstes. Pas assez croyants.
Manquant d’espérance. Incapables d’un amour véritable.
Sans l’intervention de Dieu, nous sommes moins que rien :
complètement perdus.
« Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! … […]
Laisse-moi contempler ton visage. Fais-moi entendre ta voix.
Ô toi dont la voix est si douce et le visage si gracieux ! … »
Dieu sous le charme.
Dieu qui vient vers nous,
non pas par esprit de sacrifice, pour montrer sa bonté infinie,
mais parce qu’il est enthousiasmé.
Dieu qui voit en nous une beauté
à laquelle nous sommes souvent aveugles.
Dieu qui s’émerveille là où nous, souvent,
nous aimerions nous cacher dans un trou de souris.
« Laisse-moi contempler ton visage. »
On nous a plutôt appris à baisser la tête devant Dieu.
Se faire tout petits.
Invisibles.
Ne pas faire de vagues.
Ne pas faire de bruit.
Ne pas bouger une oreille.
Ne surtout pas déranger.
Sinon Il pourrait s’agacer et changer d’avis.
Quelle surprise, donc !
Dieu qui veut voir notre visage.
Qui veut même le contempler.
Non pas comme son bon plaisir.
Mais comme un privilège que nous lui ferions.
Dieu qui nous supplie.
Dieu qui nous implore.
Les rôles sont renversés.
Nous en sommes tout troublés.
« Fais-moi entendre ta voix,
ô toi dont la voix est si douce. »
Non pas des arguments.
Mais un souffle.
Une vibration.
Il ne s’agit pas de présenter une demande
en utilisant le bon formulaire.
Il s’agit juste de parler.
De fredonner.
Un timbre.
Des accents.
Le corps, le cœur comme lieux de la rencontre.
Il n’y a pas de dossier à présenter pour qu’il soit examiné.
Un cœur est là qui bat déjà pour nous
et qui n’attend de nous rien d’autre que ce que nous sommes.
Nos vies, non pas comme un prix à payer,
mais comme une joie que nous faisons.
La rencontre avec Dieu à des années-lumière
du guichet de l’administration ou du tribunal.
La rencontre avec Dieu dans le coin secret d’un jardin.
Là où roucoule la tourterelle.
Le murmure de l’eau dans une fontaine.
Le lieu, non pas d’une sentence définitive,
mais des premiers émois.
« Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! … »
« Mon amie […] ma belle ! »
« Mon amie […] ma belle ! »
Pas de regard inquisiteur.
Pas d’hésitation ni de circonspection.
Mais un élan du cœur d’une force incroyable.
De la proximité :
nous ne sommes pas des étrangers !
Et aussi de la passion, de la joie.
Car nous en valons la peine, ô combien !
L’Église est l’amoureuse de Dieu.
Une jeune fille pleine de fraîcheur,
avec aussi de la maladresse.
Quel dommage qu’elle se stylise si souvent
en vieille fille présidente de ligue de vertu.
Se mêlant d’autant plus de la vie des autres,
qu’il ne se passe rien
– aucune joie, aucune vibration, aucune tendresse –
dans la sienne.
L’Église comme un projet,
c’est le modèle que l’on essaie toujours plus de vendre.
Avec beaucoup de discours, d’explications, de slogans.
Dans la lettre aux Éphésiens,
l’apôtre parle de l’Église comme de la fiancée du Christ.
Sa jeune épouse.
Non pas un vieux couple figé dans la routine.
Mais ces jeunes gens pleins de fraîcheur
qui rayonnent le jour des noces.
Notre Église ne cesse de prendre son pouls.
De mesurer ses forces déclinantes.
La réforme qui nous attend évoque
ces aménagements d’appartements
pour repousser encore une dernière fois l’entrée en EMS.
À moins que cela ne soit déjà les soins palliatifs.
Quel dommage que l’on ne demande pas son avis au Christ.
On l’entendrait alors nous dire :
« Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! …
Car voici que l’hiver s’en est enfui ; […]
Laisse-moi contempler ton visage. Fais-moi entendre ta voix,
ô toi dont la voix est si douce et le visage si gracieux ! … »
L’âge des participants au culte n’est pas aussi important
qu’on le pense.
Certains ont à vingt ans une mentalité de notaire.
Alors que d’autres, aux articulations usées par les ans,
ont le cœur qui déborde toujours de fraîcheur.
Comme une jeune épouse.
L’apôtre le dit bien :
c’est le Christ qui prend soin de l’Église
comme de Son propre corps.
C’est Lui qui la purifie par le don qu’Il fait de Lui-même
et par Sa parole.
Et qu’ainsi elle se montre dans toute sa beauté,
sans tache, ni ride, ni rien de semblable.
Nous pensons souvent que c’est à nous
d’amener au Christ une communauté parfaite :
dynamique, généreuse, enthousiaste.
Sans rien qui fasse ombre.
L’œuvre de nos mains.
Et bien sûr, quand nous n’y arrivons pas, quel échec !
Quel coup au moral !
Il serait bon de retrouver la candeur de la jeune fille
qui se croit vilain petit canard,
et qui se découvre infiniment belle et précieuse
dans les yeux de ce garçon
dont elle n’osait même pas espérer une marque d’attention.
La vie de la foi, la vie de l’Église,
non pas comme la gestion d’une entreprise,
toute d’efficacité et de performance.
La vie de la foi, la vie de l’Église,
comme cette fraîcheur naïve des amoureux
qui remplit leur monde et leur cœur de joie et de lumière.
Le Christ ne nous veut pas au garde-à-vous.
De braves petits soldats qui font leur devoir.
Sa voix est passionnée, vibrante.
Et il est bon de l’entendre encore et encore :
Oui, « Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! … […]
Laisse-moi contempler ton visage. Fais-moi entendre ta voix.
Ô toi dont la voix est si douce et le visage si gracieux ! … »
Amen