C’est la voix de mon bien-aimé!
Le voici, il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines.
Mon bien-aimé est semblable à la gazelle ou au faon des biches.
Le voici, il est derrière notre mur, il regarde par la fenêtre, il regarde par le treillis.
Mon bien-aimé parle et me dit:
Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Car voici, l’hiver est passé; la pluie a cessé, elle s’en est allée.
Les fleurs paraissent sur la terre, le temps de chanter est arrivé,
et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes.
Le figuier embaume ses fruits, et les vignes en fleur exhalent leur parfum.
Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher, qui te caches dans les parois escarpées,
fais-moi voir ta figure, fais-moi entendre ta voix; car ta voix est douce, et ta figure est agréable.
Cantique des cantiques 2, 8-14
Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent.
Je leur donne la vie éternelle; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main.
Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous;
et personne ne peut les ravir de la main de mon Père.
Moi et le Père nous sommes un.
Évangile selon Jean 10, 27-30
« Mes brebis entendent ma voix. »
Frères et sœurs,
dimanche passé, dans le train qui nous ramenait
de l’excursion évoquée en introduction,
l’annonce des différents arrêts était faite avec un accent bizarre,
un peu asiatique.
La raison était simple :
il ne s’agissait pas d’une personne en chair et en os,
mais d’un programme informatique.
Dans notre quotidien,
nous sommes toujours plus confrontés à ces voix artificielles
qui n’ont rien à voir avec l’air qui sort de poumons
et qui fait vibrer des cordes vocales.
Un simple support pour des informations.
Sans visage.
Sans vie.
Sans corps.
Sans âme.
« Mes brebis entendent ma voix. »
Ce que les brebis perçoivent,
ce n’est pas ce qui leur est dit,
mais celui qui leur parle.
La voix du berger,
c’est avant tout une présence,
une proximité,
un lien.
Tout le contraire de ces voix électroniques
concoctées par ordinateur.
La radio déjà dissocie une voix d’une présence.
Le téléphone aussi.
Avant ces deux inventions pourtant,
une voix renvoyait toujours à une proximité.
C’était l’expérience que l’on avait au quotidien :
si j’entends quelqu’un, c’est qu’il n’est pas loin.
Quand dans la Bible une voix se fait entendre depuis le ciel,
ce n’est pas une préfiguration de ce que nous vivons parfois
lors de grandes manifestations,
où la seule chose que l’on sait de celui qui nous parle
est qu’il est très loin de nous.
Le ciel est pour nous hors d’atteinte.
Mais si nous entendons une voix qui en descend,
cela veut dire qu’il est beaucoup plus proche
qu’on le croit habituellement.
Car, dans la Bible,
une voix est toujours liée à un corps, à une présence.
La voix de Dieu, c’est le signe qu’il est là tout près.
« Mes brebis entendent ma voix »
Si l’on inverse le point de vue, cela donne ceci :
« J’entends la voix de mon bien-aimé ! …
Le voici qui vient ! »
On associe souvent la voix de Dieu
ou même celle du Christ
à des consignes, à des ordres.
Des commandements - nouveaux bien sûr !
Mais des commandements quand même.
Il s’agit d’écouter et d’obéir.
Être un bon petit soldat qui aura peut-être des félicitations,
ou même une médaille, à la fin.
Le Cantique des cantiques dit quelque chose de bien différent.
La voix de Dieu, la voix du Christ,
comme celle de mon bien-aimé.
Comme celle de mon amoureux.
De celui qui est amoureux de moi.
Une voix qui n’est pas anonyme.
Une voix qui n’est pas impersonnelle.
Une voix qui vibre et qui fait vibrer :
on est sur la même longueur d’onde.
« Lève-toi, mon amie ; viens, ma belle ! … »
La voix de Dieu, la voix du Christ,
comme ce qu’il y a de plus personnel,
de plus intime.
Rien à voir avec ces slogans publicitaires ou politiques
qui sortent des haut-parleurs.
Les Églises rêvent souvent de parler aux foules.
De faire entendre leur voix à un grand nombre de personnes.
Elles s’imaginent comme des autorités morales
que l’on écoute religieusement.
Une communication qui se veut large, très large.
Et qui est en même temps à sens unique.
Il faut être visible.
Audible.
Susciter l’intérêt.
Pourtant, la façon la plus simple de susciter de l’intérêt,
c’est d’en manifester.
Et cela tout d’abord à la plus petite échelle possible.
Le tête-à-tête.
Le cœur-à-cœur.
« J’entends la voix de mon bien-aimé ! …
Le voici qui vient ! »
Comment sait-elle que c’est la voix de son bien-aimé ?
Il y a des inflexions.
Il y a des accents.
Il y a aussi peut-être tout simplement
que ce n’est pas un inconnu.
Qu’elle le connaissait déjà avant, peut-être sans le savoir.
Et surtout que lui la connaissait déjà avant.
Et qu’il l’aimait.
Nous lisons souvent la Bible comme un manuel.
Alors qu’il s’agit d’une lettre d’amour.
Quelque chose d’intime où une voix s’adresse à moi,
et rien qu’à moi.
Quelqu’un qui sait tout de moi.
L’Écriture n’est pas un tract anonyme
que l’on distribue à des inconnus au marché.
Si on ne la lit pas le cœur battant,
on n’entendra pas le cœur qui y bat.
Les frémissements de la voix qui nous parle.
« Mes brebis entendent ma voix. »
L’image du bon berger nous touche.
Et, en même temps, nous avons un peu de peine
à nous considérer comme des brebis.
Nous nous voyons bien plus volontiers
comme un reflet du berger
auprès de ceux qui sont désemparés,
qui se sentent démunis.
Entendre la voix du Christ qui nous parle est une chose.
Mais quelle réponse apporter ?
Sous les châtaigniers de Borejov,
j’ai lu à notre petit groupe
un poème de Rabindranath Tagore
tiré de l’Offrande lyrique.
Une prière où il dit à Dieu ceci :
Quand tu m’ordonnes de chanter,
il semble que mon cœur doive crever d’orgueil ;
et je regarde vers ta face, et des pleurs me viennent aux yeux.
Tout le rauque et le dissonant de ma vie fond
en une seule suave harmonie –
et mon adoration éploie les ailes
comme un joyeux oiseau dans sa fuite à travers la mer.
Je sais que tu prends plaisir à mon chant.
Je sais que, comme un chanteur seulement,
je suis admis en ta présence.
Mon chant largement éployé touche de l’extrémité de son aile
tes pieds que je désespérais d’atteindre.
Ivre de cette joie du chanter,
je m’oublie moi-même,
et je t’appelle ami, toi qui es mon Seigneur.
Le bien-aimé du Cantique des cantiques le dit bien :
« Lève-toi, mon amie ; viens ma belle ! … […]
Laisse-moi contempler ton visage.
Fais-moi entendre ta voix,
ô toi dont la voix est si douce
et le visage si gracieux ! … »
Notre réponse à la voix de Dieu est souvent
pleine de sérieux et d’application.
Nous cherchons à comprendre et à faire juste.
À être de bons élèves.
Rabindranath Tagore dit que c’est l’ivresse du chant
qui nous rapproche le plus de Dieu.
Non pas le sérieux et la discipline,
mais la légèreté, l’élan, l’envol.
« Mes brebis entendent ma voix », dit le Christ.
« Ma voix », et non « mon discours ».
La Parole de Dieu,
non pas comme un traité ou un mode d’emploi,
mais comme un chant
qui vient du plus profond.
Un chant auquel on ne rend vraiment justice
que par un autre chant.
Le Christ le dit bien :
être croyant, ce n’est pas comprendre une théorie.
C’est entendre une voix : la voix de notre Seigneur,
de notre ami, de notre bien-aimé.
Et répondre à cette voix en y joignant la nôtre.
Amen