Vos lieux de culte

Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable.

Il jeûna quarante jours et quarante nuits, puis il eut faim.

Le tentateur s'approcha et lui dit : "Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains."

Jésus répondit : "Il est écrit : L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu."

Le diable le transporta dans la ville sainte, le plaça sur le haut du temple

et lui dit : "Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit :

Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ;

Et ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre."

Jésus lui dit : "D'autre part il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu."

Le diable le transporta encore sur une montagne très haute, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire,

et lui dit : "Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes et m'adores."

Jésus lui dit : "Retire-toi Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et à lui seul, tu rendras un culte."

Alors le diable le laissa. Et voici que des anges s'approchèrent de Jésus pour le servir.

 

Évangile selon Matthieu 4, 1-11

 

« L’homme ne vivra pas seulement de pain,

mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

 

Frères et sœurs,

 

Jésus parle de pain.

L’aliment que l’on achète dans les boulangeries,

et qui a longtemps été la nourriture de base des gens.

 

Nous en mangeons moins que nos ancêtres.

Mais nous continuons de manger toutes sortes de nourritures.

Avec encore d’autres choses que nous consommons :

de l’information, du plaisir, du divertissement.

 

C’est cela notre pain quotidien.

Ce qui nous nourrit.

Ce qui nous rassasie.

 

Jésus dit que cela ne suffit pas.

« L’homme ne vivra pas seulement de pain,

mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

 

Le pain, c’est clair.

Mais cette parole qui sort de la bouche de Dieu ?

 

Pour un bon protestant qui va au culte,

la Parole de Dieu,

ça ne saurait être que l’Écriture, la Bible.

 

Alors, dans la journée, il faut non seulement trois repas,

mais aussi des temps où on lit la Bible

et où l’on médite la Parole qu’elle contient.

 

Vous le savez toutefois :

les apparences sont souvent trompeuses.

 

Jésus n’était pas un bon protestant.

Et même si l’échange qu’il a avec le diable

rappelle ces batailles de versets si prisées dans certains milieux,

il est plus que probable

que l’expression « Parole qui sort de la bouche de Dieu »

évoquait pour lui autre chose

qu’une page recouverte de caractères minuscules.

 

La Parole qui sort de la bouche de Dieu,

c’est infiniment plus que des mots.

Quelque chose d’incroyablement vaste,

d’incroyablement vivant.

Cette force qui appelle le monde à l’existence,

qui fait jaillir la lumière,

qui me donne mon visage.

Et aussi ce Sauveur qui nous est donné

et qui vient à nous dans la personne de Jésus de Nazareth.

 

Vivre de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu,

c’est se sentir porté à chaque instant

par une volonté et un amour qui viennent de très loin.

Et c’est aussi se sentir appelé à quelque chose de beau,

à quelque chose de grand.

Voir devant soi un visage et un sourire.

Nous ne sommes pas seuls.

Il y a Quelqu’un qui tient à nous

et qui veut pour nous ce qu’il y a de plus lumineux,

de plus beau.

 

Cette dimension,

on la retrouve dans la deuxième réponse

que Jésus fait au diable :

« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. »

 

Bien sûr, il y a une formulation négative.

Et cela nous hérisse.

 

Mais plutôt que de se bloquer sur le verbe,

peut-être faut-il commencer par la fin :

« le Seigneur ton Dieu ».

Prendre la mesure de la réalité incroyable

que l’on essaie d’exprimer avec ces mots.

 

« Le Seigneur ton Dieu. »

Quelqu’un de vivant,

de vibrant,

de palpitant.

Quelqu’un d’infini qui dépasse

tout ce que l’on peut imaginer,

tout ce que l’on peut comprendre.

Quelqu’un qui n’est pas un étranger,

puisqu’Il s’est lié avec nous.

Il nous interpelle.

Il nous parle.

Il nous porte.

Il nous guide.

Il nous inspire.

Il nous renouvelle.

 

Quand on a pris conscience de tout cela,

le verbe devient une évidence :

« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. »

 

Comment pourrait-on le traiter en jouet

dont on va faire ce que l’on veut ?

Le malmenant selon nos envies.

Le démontant,

pour ensuite l’abandonner quand on se sera lassé,

quand quelque chose de plus intéressant

se sera offert à nous.

 

Ce sont les animaux de laboratoire

que l’on teste selon les questions qui nous turlupinent !

Et même là, ce n’est pas normal, c’est un problème.

Alors Dieu ?

Lui qui est tellement plus grand

qu’une souris ou une grenouille ?

Lui qui a créé à partir de rien les souris et les grenouilles ?

 

C’est une tout autre relation qu’il y a entre nous.

 

J’aime beaucoup l’image de la danse :

un mouvement conjoint

avec des initiatives et de la réceptivité, de l’écoute,

des deux côtés.

 

Personne n’est une marionnette.

Personne n’est un objet inerte.

 

Chacun a sa réalité, son existence.

Chacun est l’objet,

non pas d’une expérience,

mais d’une attention.

 

Savoir percevoir chaque inflexion

et y répondre.

 

Ce n’est bien sûr pas toujours facile.

Cela demande de la pratique,

de l’entraînement.

La première danse n’est jamais très souveraine.

On cherche ses marques.

On se découvre l’un l’autre.

 

C’est peu à peu que l’on prend de l’assurance,

que l’on peut se lâcher.

Ne plus chercher à maîtriser le mouvement,

mais s’y abandonner,

en découvrant que cela se fait tout seul,

justement parce que l’on ne réfléchit plus,

parce que l’on ne se pose plus de question.

 

Les relations unilatérales n’ont pas cette richesse,

mais elles demandent moins d’implication.

Il y en a un qui commande,

et l’autre obéit.

Être la marionnette de Dieu.

Ou bien vouloir qu’il soit la nôtre.

 

« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. »

Il ne s’agit pas d’un interdit.

Cette parole signale une impasse.

 

Tenter Dieu,

ce n’est pas faire ce qui est mal.

Tenter Dieu,

c’est juste passer à côté

de la beauté, de la richesse,

d’une relation vivante avec Dieu.

Appauvrir sa vie.

S’appauvrir soi-même.

 

Jésus le dit bien dans sa troisième intervention :

« Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu,

et tu ne rendras de culte qu’à lui seul. »

 

Nous sommes tellement marqués par l’histoire,

par tous ces dictateurs qui ont imposé

un culte de la personnalité,

que cette phrase nous met mal à l’aise.

 

On a l’impression que l’on nous demande

d’être sous une botte :

vivre le dos courbé,

devenir un robot qui ne pense pas par lui-même,

qui se contente de suivre le mouvement.

 

En réalité, ce que Jésus dit,

c’est qu’il y a une personne, et une seule,

qu’il vaut la peine d’adorer.

Parce que cette personne est tellement grande,

tellement belle,

tellement vaste,

tellement profonde,

que, l’adorer, cela ne nous rapetisse pas.

Au contraire, cela nous fait grandir.

 

Avoir un plafond

cinquante centimètres au-dessus de sa tête,

c’est oppressant.

Avoir au-dessus de sa tête

le ciel bleu qui se déploie à l’infini,

c’est une tout autre sensation.

On ne se sent pas écrasé.

On se sent aspiré vers le haut.

 

Adorer un homme politique ou une star de cinéma,

c’est se faire plus petit qu’il ne l’est lui-même.

Et souvent ce n’est pas très grand.

 

Adorer Dieu, le Créateur de l’univers,

c’est se placer dans son sillage,

et être ainsi appelé à se dépasser encore et encore.

Être toujours plus que ce que l’on croit être.

Découvrir de nouvelles dimensions.

Ne jamais atteindre de plafond, de limite.

 

Ce n’est qu’en apparence

que les paroles de Jésus

sont un décalque de celles du diable.

 

S’agenouiller devant le diable

ou adorer le Seigneur notre Dieu,

cela n’a rien à voir.

Il n’y a pas que le destinataire qui change.

Ce n’est ni le même esprit,

ni le même effet.

 

Et cela vaut pour les trois paroles.

 

Jésus ne rappelle pas des tabous.

 

Il nous ouvre le véritable horizon de la foi.

Un horizon infini

où l’on respire librement

et où la présence de Dieu

n’est pas une limite,

mais bien une invitation.

 

À nous de l’entendre.

 

Amen