Vos lieux de culte

Il leur proposa une autre parabole, et il dit:

Le royaume des cieux est semblable à un homme

qui a semé une bonne semence dans son champ.

Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint,

sema de l'ivraie parmi le blé, et s'en alla.

Lorsque l'herbe eut poussé et donné du fruit, l'ivraie parut aussi.

Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire:

"Seigneur, n'as-tu pas semé une bonne semence dans ton champ?

D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie?"

Il leur répondit: "C'est un ennemi qui a fait cela."

Et les serviteurs lui dirent: "Veux-tu que nous allions l'arracher?"

"Non, dit-il, de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé.

Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson,

et, à l'époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs:

"Arrachez d'abord l'ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler,

mais amassez le blé dans mon grenier." "

Évangile selon Matthieu 13, 24-30

 

« Veux-tu donc que nous allions l’arracher ? » - « Non »

 

Frères et sœurs,

ce « Non ! » n’est pas facile à entendre.

Le monde irait tellement mieux

si l’on se débarrassait de tout ce qui pose problème :

les dictateurs,

les va-t-en guerre,

les traders,

les extrémistes,

et tous ceux qui ne pensent pas comme moi.

D’ailleurs,

quand vous lisez les médias,

c’est de cela qu’ils parlent :

des difficultés, des problèmes.

Il semble donc naturel de vouloir s’y attaquer.

Se débarrasser de Vladimir Poutine

et des chauffages à mazout,

c’est cela l’urgence.

Les discussions de bistrot pointent

toujours un responsable,

pour ne pas dire un coupable :

le gouvernement,

ou bien l’entraîneur de l’équipe nationale.

C’est bien par là qu’il faut commencer,

si l’on veut que les choses aillent mieux,

non ?

 

Et bien, justement, non !

C’est ce que Jésus dit.

Et nous sommes plus que déconcertés.

Nous nous sentons frustrés.

Muselés.

Condamnés à l’impuissance.

Il y a un problème.

Et Jésus nous interdit d’intervenir.

De faire ce qu’il faut pour le résoudre.

Rester passif !

Alors qu’il y a tant à faire.

Pas étonnant que l’on accuse le christianisme

d’être angélique,

déconnecté de la réalité.

 

Seulement, vous le savez,

les apparences sont souvent trompeuses.

 

Si la réponse de Jésus

est difficile à avaler,

c’est parce qu’elle s’oppose

à une vision du monde

qui nous semble la seule possible.

 

Détecter les problèmes

et les éliminer,

voir ce qui ne va pas,

et s’y attaquer,

cela nous semble naturel :

le bon sens même.

 

C’est ainsi que nous abordons la réalité,

le monde autour de nous.

Notre regard pointe les défauts,

les déficiences.

Nous allons jusqu’à signaler les fautes de français,

les lourdeurs stylistiques,

les citations imprécises.

S’attaquer au problème.

Apporter des corrections,

des améliorations.

Tout un état d’esprit.

Le stylo rouge à la main.

 

Jésus, lui, nous invite à un autre regard.

Ne pas s’attacher à ce qui ne va pas.

Mais renforcer, nourrir ce qui va.

Ne pas s’intéresser aux défauts,

mais aux forces.

Et les mettre en avant,

les encourager,

les soutenir,

s’en réjouir.

 

La vie n’est pas une suite d’interactions

dont il faudrait limiter au maximum

celles qui sont désagréables.

La vie est un rayonnement.

Une force est là en nous qui nous porte,

et qui nous permet d’affronter

même ce qui n’est pas plaisant,

même ce qui est douloureux.

 

Nous avons pourtant pris cette habitude

de faire la liste de nos problèmes,

des problèmes de notre pays,

des problèmes de notre Église.

 

Jésus nous invite, lui, à nous intéresser

aux forces qui sont en nous

et qui nous permettent d’avancer

malgré les problèmes.

 

Quand l’âge arrive,

on est frappé

par ce qui ne va plus comme avant,

ces fonctions de notre corps

qui perdent de leur assurance.

La médecine a fait

beaucoup de progrès.

Mais elle ne fait pas de miracles.

Avec les années,

la liste des problèmes s’allonge

tout naturellement.

Elle devient toujours plus pesante.

S’attacher

à ce qui peut être encore cultivé, développé,

offre une ouverture.

Tout ne va pas mal.

Il y a aussi des forces qui restent

et qui permettent d’avancer

et même de grandir.

L’âge, cela peut aussi être le calme, la patience.

Une disponibilité pour écouter.

De la bienveillance.

Cela aussi est précieux.

Bien plus qu’on le pense.

 

Si notre Église se met

à faire l’inventaire de ses pertes,

cela sera accablant.

Elle n’a plus sa position d’antan.

Les participants au culte sont

toujours moins nombreux.

Toujours moins d’enfants,

moins de catéchumènes.

Un lent déclin.

Et l’on rêve d’un retournement de situation

peu probable.

On rédige des rapports

toujours plus nombreux et toujours plus épais,

avec de belles analyses et quelques propositions.

On imprime des flyers,

en veux-tu, en voilà,

par centaines, parfois même par milliers.

Mais cela ne change pas grand-chose à la situation.

 

Dans sa parabole,

Jésus nous parle d’un problème qui apparaît

dans un champ où a été semé du bon grain.

Des mauvaises herbes apparaissent,

et les ouvriers ne voient plus rien d’autre.

Ils en oublient même ces épis

qui n’en continuent pas moins de pousser.

 

Eh oui, dans notre Église vieillissante et toujours plus faible,

il n’y a pas que des problèmes qui s’accumulent,

des mauvaises herbes qui prennent toujours plus de place.

Dans notre Église,

il y a aussi du bon grain qui pousse.

Et c’est à cela que nous devrions nous intéresser.

C’est à cela que nous devrions consacrer notre énergie.

 

Le feu et la passion de la jeunesse

ne sont plus qu’un souvenir.

Mais notre Église n’en a pas moins ses richesses.

L’âge, c’est aussi une expérience de vie.

Des déconvenues qui relativisent certains enthousiasmes,

et permettent le recul.

Une plus grande compréhension pour les fragilités

qui ont leur place et leur sens.

Une sympathie aussi pour les emballements

qui ont leur beauté,

quand on n’en fait pas un absolu,

un passage obligé.

 

Les personnes âgées peuvent écouter des heures

un enfant leur raconter

les aventures d’un personnage de dessin animé

dont elles ne savent rien.

Tout simplement

parce qu’elles s’attachent

à celui qui parle,

bien plus qu’à ce qu’il dit.

 

Il y a peut-être là une richesse

que nos communautés vieillissantes ont à offrir :

un lien au-delà du débat d’idées ;

une attention à la personne,

bien plus qu’à ce qu’elle dit ou ce qu’elle pense.

 

Au niveau de notre vie personnelle aussi,

l’appel de Jésus peut avoir une grande portée.

Notre culture protestante

s’attache beaucoup à ce qui ne va pas.

Je suis trop ceci.

Pas assez cela.

 

Et l’on en oublie que notre cœur

est ce champ dans lequel

Dieu a semé du bon grain

qui pousse malgré toutes les mauvaises herbes

qui se trouvent autour.

 

Oui, dans notre cœur,

et même dans mon cœur,

il y a du bon grain qui pousse.

Et je peux m’en réjouir.

Et je peux le cultiver.

Plutôt que de me lamenter

de ne pas être aussi parfait

que je le souhaiterais.

 

Dans la parabole,

l’ivraie finit dans le feu.

Non pas le lieu des supplices éternels.

Juste le feu d’un jardinier

qui se débarrasse de ce qui n’a

pas vraiment de substance.

 

Rêver d’une punition extraordinaire

pour les méchants,

c’est à nouveau perdre de vue l’essentiel.

Être obnubilé par les mauvaises herbes.

Au lieu de se réjouir,

de se nourrir,

du bon grain.

 

C’est pourtant là le message de la parabole.

Un message très facile à comprendre.

Mais que nous n’acceptons pas toujours

de façon aussi évidente.

 

Ce monde est un champ où Dieu a semé du bon grain.

Ce monde est un champ que Dieu cultive.

Dont il prend soin et qui va donner du fruit,

et même beaucoup de fruit.

 

Et il en va de même de mon cœur.

Il en va de même de ma vie.

Et aussi de notre Église.

 

Il est bon de s’en réjouir.

 

Amen