En ce qui me concerne, loin de moi de chercher ma gloire
ailleurs que dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ;
par elle le monde est crucifié pour moi,
comme moi je le suis pour le monde.
Car ce qui importe, ce n'est pas d'être circoncis ou incirconcis,
c'est d'être une nouvelle créature.
Sur tous ceux qui s'en tiendront fidèlement à cette règle,
paix et miséricorde, ainsiq eu sur l'Israël de Dieu!
Que désormais personne n'ajoute à mes peines,
car je porte en mon corps les stigmates de Jésus.
Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ
soit avec votre esprit! Amen.
(Épître aux Galates 6, 14-18)
« Ce qui importe,
ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être une nouvelle créature. »
Frères et sœurs,
c’est quelque chose de grand
que l’apôtre dit ici.
Seulement,
comme souvent,
les mots sont presque autant un obstacle
qu’ils ne sont un soutien.
Être une créature,
cela ne fait pas envie.
On pense à la créature du docteur Frankenstein :
du bricolage avec le vivant.
Pas vraiment abouti.
Pas vraiment satisfaisant.
Une ébauche.
Un prototype mal ficelé.
Une caricature
plus qu’une réussite.
Rien de séduisant.
Il y a aussi cette expression :
être la créature de quelqu’un.
Une situation tout sauf enviable.
N’être qu’un pantin manipulé.
Une marionnette dont on tire les fils.
Sans la moindre valeur propre.
Oui, les mots utilisés pas l’apôtre
posent problème.
Alors pour entendre que, ce qu’il nous dit,
c’est quelque chose de beau et de positif,
il faut commencer par surmonter cet obstacle.
Ne plus parler de créature.
Mais utiliser une autre formulation
plus personnelle,
plus dynamique.
Non pas : « être une créature ».
Mais : « être créé »,
et cela, comme un verbe au présent
qui désigne quelque chose
qui se passe maintenant.
« Ce qui importe,
ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être créé,
et cela, d’une façon nouvelle. »
Être créé…
Le philosophe Martin Heidegger
voyait l’être humain
comme « jeté dans le monde ».
Je me retrouve, homme ou femme,
sur cette planète,
avec un corps que je n’ai pas choisi,
et toutes sortes d’autres limitations,
et je me dis :
« Mais qu’est-ce que je fais ici ? »
Les adolescents ressentent souvent
cette absurdité de la vie,
cette impression d’être l’objet
d’une expérimentation
dont on ne maîtrise pas
les tenants et les aboutissants.
Oui, être le jouet de forces aveugles,
quand elles ne sont pas malveillantes.
« Je n’ai pas demandé à venir au monde. »
C’est ce qu’ils disent facilement.
Le sentiment que la vie
est un labyrinthe,
un parcours d’obstacle,
une impasse.
Tout sauf un cadeau.
Tout sauf une bénédiction.
Être créé,
c’est une tout autre sensation,
une tout autre approche de la vie.
Quelqu’un m’a voulu.
Et même mieux :
Quelqu’un me veut.
Puisque c’est à chaque instant,
à chaque seconde,
qu’Il me crée et me recrée.
Oui, une attention nouvelle
à chacune de mes respirations.
Une sollicitude qui ne fléchit jamais.
Cette vie, et aussi ce monde,
comme un geste de bienveillance,
comme une marque d’affection,
de tendresse.
Quelqu’un veut me donner
ce qu’il y a de plus beau,
ce qu’il y a de meilleur.
Quelqu’un me donne
ce qu’il y a de plus beau,
ce qu’il y a de meilleur.
Être créé…
Dieu comme un artisan
qui met non seulement tout son savoir-faire,
tout son talent,
mais aussi tout son cœur,
toute son âme,
dans ce qu’il fait.
« Comme un vase d’argile,
ton amour nous façonne. »
Mais l’apôtre voit
une relation encore plus forte,
plus profonde :
un niveau supérieur.
« Ce qui importe,
ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être créé,
et cela d’une façon nouvelle. »
Il y a l’atelier
du Père Créateur
avec ces mains expérimentées
et pleines de délicatesse
qui peaufinent le moindre détail.
Et il y a la croix
où le Christ nous recrée
en donnant Sa vie pour nous,
en unissant Son destin au nôtre,
pour que plus rien
ne nous sépare jamais
de l’amour de Dieu ;
pour que notre vie et la sienne
soient si intimement liées
que l’on ne puisse pas évoquer l’une
sans tout de suite voir aussi l’autre.
Oui, la croix comme le lieu
où je suis recréé.
L’amour du Christ
qui n’est pas un sentiment vague
sans réelle consistance,
mais un acte concret et fort
qui me définit,
qui me donne une nouvelle identité.
Oui, l’amour du Christ sur la croix
comme quelque chose de solide et de fort.
Quelque chose de palpable.
Vivifiant
au point de changer
de fond en comble
la substance de mon être,
l’essence de ma vie.
Certains réduisent
le don du Christ sur la croix
à une question de casier judiciaire.
Vous savez :
le sang qui efface les péchés.
Un mécanisme purement formel
avec un intervenant
et des bénéficiaires.
L’apôtre, lui, voit infiniment plus loin.
L’amour du Christ sur la croix
ne fait pas que laver mes péchés.
Il me recrée.
Il change mon être et ma vie.
Il instaure une relation,
un lien,
qui me nourrit,
qui me façonne,
qui me donne de grandir,
qui devient le sens même de ma vie,
la vérité de ma vie,
la substance de ma vie.
Il y a là quelque chose de vivant,
de palpitant,
comme un cœur qui bat,
avec le sang qui porte la vie
dans tout l’organisme,
dans les moindres recoins de notre corps
et de notre être.
En comparaison avec cela,
tout le reste semble bien pâle,
bien dérisoire.
D’un côté, mon curriculum vitae,
avec la liste de toutes mes bonnes actions.
De l’autre, l’amour du Christ pour moi
sur la croix :
l’engagement d’une personne,
l’engagement de Dieu,
jusqu’au don de la vie.
Que pourrait-on imaginer de plus précieux ?
Comme on dit : il n’y a pas photo.
Et pourtant,
si l’apôtre rappelle
cette vérité si grande et si forte,
c’est bien parce que certains
l’avaient perdue de vue.
Ils réduisaient la foi
à une question de circoncision.
La relation à Dieu
comme une affaire administrative
où l’essentiel
est d’avoir les bons papiers
avec les tampons qu’il faut.
Nous ne sommes pas à l’abri
de cette tentation.
Penser que l’essentiel,
c’est d’être un bon paroissien,
un bon chrétien,
comme on est un bon citoyen,
ou un bon client.
Se soucier avant tout de son engagement
en y cherchant de la satisfaction,
de la reconnaissance,
des médailles.
Et en oubliant complètement
cet amour qui nous porte
et qui nous façonne à chaque instant.
Le Christ qui s’est donné et qui se donne
pour que j’aie la vie
et que je l’aie en abondance.
Le bon berger qui m’appelle par mon nom
pour me conduire là où Son amour
me nourrira.
« Le monde est crucifié pour moi. »
L’apôtre ne dit pas que le monde n’a aucune valeur.
Qu’il faut s’en séparer.
Il dit juste que ce qui nous forme,
ce qui nous donne la vie,
ce qui nous nourrit à chaque instant,
ce qui nous donne notre visage,
ce qui donne à notre vie son éclat et sa densité,
c’est l’amour du Christ qui s’est donné,
qui se donne pour moi sur la croix.
Et qu’en comparaison tous les diplômes,
tous les honneurs,
toutes les satisfactions
que je peux trouver dans le monde,
dans la société,
ce n’est pas grand-chose.
Cela ne me nourrit pas.
Cela ne m’apporte aucune valeur.
Alors à quoi bon s’y accrocher ?
L’apôtre le dit bien,
ce qui est ma gloire,
c’est la croix du Christ.
Non pas le bout de bois, bien sûr.
Mais ce Sauveur qui est venu
me prendre dans Ses bras
pour me relever,
et qui ne me lâchera jamais.
Ni dans la vallée de l’ombre de la mort,
ni dans les gouffres de mes échecs et de mes faillites,
ni où que ce soit ailleurs.
Et cela, à jamais.
Oui, à Lui soit la gloire, maintenant et toujours,
et pour les siècles des siècles !
Amen
Pasteur Jean-Nicolas Fell